Vu de l’intérieur: l’IA, la mort de l’auteur et le langage en otage — ce que des écrivains ont confié à Córdoba

Deux écrivains en table ronde, micros posés, lumière douce d’une salle de conférence, regards concentrés.

TL;DR

  • 🤖 L’IA accusée d’extractivisme culturel et de “grand plagiat”
  • 🗣️ Le langage, champ de bataille invisible où se joue la politique
  • 🎭 Humour en recul: une société du risque gagne du terrain

IA et littérature, tu t’attendais à un clash? À Cosmopoética, j’ai vécu un débat incandescent sur la “mort de l’auteur”, le pillage des œuvres et la bataille pour nos mots. Des idées neuves, des pistes concrètes, et l’ambiance très cordouane en prime.

Est-ce que tu savais que l’IA s’invite chez les poètes?

À Córdoba, on vient pour les poèmes, les patios et la douceur des voix qui résonnent sous les arcades. Et pourtant, à Cosmopoética cette année, la conversation la plus brûlante n’a pas été une métaphore, mais un acronyme: IA. Dans le salon feutré d’un hôtel près de la gare, j’ai posé mon carnet entre un café cortado et un dictaphone. En face, deux écrivains, la colère tranquille: pas contre la technologie en soi, mais contre l’extraction sans consentement qui nourrit ces modèles géants. Appeler ça “intelligence”, disaient-ils en substance, humanise ce qui est d’abord une logique industrielle.

Ce qui m’a frappé, c’est l’insistance sur la création comme écologie: pas une forêt artificielle plantée à la chaîne, mais un écosystème fragile de voix, d’accents, de nuances. Quand on racle Internet sans payer d’ayants droit, on laboure sans replanter. Et l’argument n’est pas qu’éthique: en Europe, le droit d’auteur protège le text and data mining avec des garde-fous (le fameux opt‑out de la directive droit d’auteur, puis l’AI Act adopté en 2024 qui encadre les modèles fondamentaux). C’est pour cela que le débat à Córdoba sonnait moins comme une plainte que comme une alerte: réguler, oui; mais surtout, redonner du temps et de la valeur à la phrase.

Langage en otage: pourquoi les mots ne sont pas neutres

Qui tient le langage tient la politique, me confiait un éditeur andalou après la table ronde. Ici, l’IA n’est pas seulement un outil, c’est un accélérateur d’un phénomène déjà à l’œuvre: le glissement des mots, leur récupération. J’ai trouvé salutaire l’idée de désapprendre les éléments de langage qui s’infiltrent partout, comme un adware lexical: on les répète, on les croit évidents, et puis la pensée rétrécit. La littérature — surtout en terre de confluent comme Córdoba — fait l’inverse: elle élargit.

La formule la plus forte entendue ce jour-là? Parler de littérature comme d’un travail de “désistinction” à l’heure des extinctions: distinguer finement, ralentir, redonner du grain à moudre aux phrases. Sur des termes chargés (“racialisé(e)”, “identité”, “authenticité”), j’ai senti une tension féconde: comment garder la précision sans tomber dans la novlangue militante ou dans l’aseptisation? En France comme en Espagne, le même paradoxe: ces mots sont nés pour nommer l’injustice, puis se retrouvent parfois instrumentalisés. Ma boussole de terrain? Trois gestes simples d’hygiène du langage:

  • Citer la source d’une notion.
  • Éviter les étiquettes paresseuses.
  • Relire à voix haute: si ça sonne creux, c’est creux.

Humour en recul et “société du risque”: une alerte cordouane

Dans les cafés près de la Corredera, les libraires me disent la même chose: “On n’ose plus.” L’humour se raréfie dans l’espace public, et pas seulement par peur du bad buzz. C’est le symptôme d’une époque que le sociologue Ulrich Beck décrivait déjà comme “société du risque”: tout est potentiellement inflammable, du tweet au titre d’expo. Or l’humour, ici en Andalousie, a longtemps été une soupape populaire, de Gila à l’ironie tendre des tertulias de quartier.

Ce que j’ai noté à la table ronde, c’est moins une nostalgie qu’un appel au courage. L’ironie n’est pas un luxe: elle désarme la langue de bois et redonne de l’oxygène à la nuance. À Córdoba, j’ai vu des ateliers où l’on repartait des coplas et du flamenco chico pour réapprendre à mêler gravité et sourire. Conseil de praticien: si ta plume tremble, écris d’abord pour un lecteur unique — quelqu’un que tu aimes et que tu respectes —, puis élargis. La cible abstraite “Internet” n’a jamais fait rire personne. Et oui, l’IA peut aider à tester des scénarios, mais le dosage de l’ironie reste un art humain: un millimètre de trop, et tout s’effondre.

Córdoba pont vivant: gestes concrets pour créer et lire mieux

Alors, on fait quoi, au-delà des slogans? Voici ce que je conseille aux auteurs et aux lecteurs que je croise entre Tendillas et San Agustín:

  • Tracer la provenance: adopte des outils de vérification d’authenticité (norme C2PA) quand tu publies images et textes. C’est discret, mais ça compte.
  • Garder la main: si tu utilises l’IA, mets-la au rôle d’assistant (traduction d’ébauche, variations de plan) et garde-toi la structure, la voix, le montage final. Demande toujours “d’où ça vient?”.
  • Soutenir le vivant: va en librairie indépendante, demande des auteurs de la diaspora ibérique, cherche les petites maisons d’édition qui montent. À Córdoba, les libraires adorent faire des listes commentées.
  • Habiter la ville littéraire: Cosmopoética, ce n’est pas que des scènes. Ce sont des ateliers, des lectures dans des patios, des classes ouvertes. Viens sans badge, repars avec des noms et des lectures.
  • Connaître le cadre: L’UE a adopté en 2024 l’AI Act (obligations de transparence, risques élevés, garde-fous pour les modèles). Et la directive droit d’auteur permet aux créateurs de réserver l’extraction de leurs contenus. Informe-toi, ajuste tes mentions légales, parle-en à ton éditeur.

Ce que j’emporte de cette édition? Une certitude: à Córdoba, ville carrefour, la littérature reste un art de la cohabitation. Et quand les mots serrent trop fort, les poètes rouvrent la fenêtre.

Questions Fréquentes

Que signifie “mort de l’auteur” dans ce débat sur l’IA?

C’est une manière de dire que, si des modèles entraînés sur des œuvres non consenties produisent des textes à la chaîne, l’intention et la responsabilité de l’auteur s’effacent. L’enjeu n’est pas d’interdire l’outil, mais de garantir le consentement, la traçabilité et la rémunération des créateurs.

L’IA, c’est légal ou c’est du plagiat? Quels sont les repères en Europe?

Les deux coexistent. L’UE encadre l’IA via l’AI Act (transparence, gestion des risques) et la directive droit d’auteur (text and data mining avec possibilité d’opt‑out par les ayants droit). Les procès emblématiques (par ex. presse vs. grandes plateformes) testent les limites. Clé pratique: contrats clairs et mentions de réserve.

Comment profiter de Cosmopoética si je viens à Córdoba?

Renseigne-toi tôt: le programme alterne grandes lectures et formats intimistes (patios, bibliothèques, ateliers). Beaucoup d’événements sont gratuits mais à jauge limitée. Arrive en avance, discute avec les libraires partenaires: ils te glisseront souvent la piste d’un auteur à découvrir.

L’humour a-t-il encore sa place dans la littérature engagée?

Oui, et c’est même un antidote aux slogans. L’humour amortit la rigidité, permet le désaccord sans humiliation. Règle d’or: viser les idées, pas les personnes, et garder la musique de la phrase — une ironie bien écrite ouvre plus qu’elle ne claque.

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