Sónar, festivals de musique et Palestine : ce que personne n’ose vraiment dire

A large music festival crowd in Barcelona at dusk, with visible Palestinian flags and symbolic bracelets among attendees, photorealistic editorial style, vibrant but contemplative mood, clear stage lights and banners referencing activism.

Pourquoi le Sónar s’affiche-t-il aussi fermement sur la question palestinienne ? Plongée exclusive dans l’envers du décor d’un festival iconique.

Derrière les projecteurs : un festival à la croisée des pressions

Ce n’est pas tous les jours qu’un géant comme Sónar ose sortir de sa réserve feutrée pour s’exprimer avec autant de force sur un sujet aussi brûlant que la Palestine. Ayant suivi l’évolution du Sónar depuis ses premières éditions – bien avant l’arrivée des fonds d’investissement internationaux – j’ai rarement vu une prise de position aussi radicale et publique dans le secteur de l’événementiel culturel.

Si l’on gratte sous la surface médiatique, la déclaration « ni un seul euro à KKR » marque plus qu’une simple opération de communication. Elle révèle la tension permanente entre l’indépendance artistique et la réalité économique d’un marché musical globalisé, où le moindre lien financier peut provoquer une vague d’indignation ou d’annulations. En 2025, dans un contexte où chaque geste est scruté par des communautés engagées et ultra-connectées, il ne suffit plus d’assurer la programmation : il faut choisir son camp.

Le poids réel des fonds d’investissement dans la culture européenne

La vente en 2024 par Superstruct Entertainment au consortium piloté par KKR a mis en lumière un phénomène que beaucoup préfèrent ignorer : les festivals phares européens sont aujourd’hui pilotés par des structures financières dont les intérêts dépassent largement le cadre artistique. J’ai pu constater au fil des ans comment ces groupes américains ou britanniques ont modifié subtilement l’esprit d’événements autrefois rebelles – sans nécessairement diluer leur essence créative, mais en imposant une logique implacable de rentabilité et de gestion du risque.

Face aux critiques et appels au boycott motivés par le rôle présumé de KKR en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, Sónar se retrouve obligé d’exposer publiquement ses flux financiers. C’est inédit ! L’immense majorité des festivals rechigne encore à cette transparence. Pourtant, en m’entretenant avec plusieurs programmateurs indépendants (qui préfèrent rester anonymes), j’entends la même angoisse : « Qui contrôle vraiment notre narration culturelle aujourd’hui ? »

Pour creuser ce débat crucial sur le pouvoir financier dans la culture, je vous invite à consulter cet article d’analyse approfondie.

Les artistes face au dilemme éthique : annuler ou jouer ?

La trentaine d’annulations enregistrées pour cette édition n’est pas anodine. Depuis 15 ans que je couvre ces mouvements artistiques transnationaux, j’observe combien la solidarité peut se transformer en casse-tête pour les artistes : certains annulent pour ne pas cautionner indirectement une structure jugée complice ; d’autres choisissent de maintenir leur venue pour porter un message politique sur scène.

Ce qui me frappe ici, c’est l’intelligence pragmatique du Sónar : proposer une plateforme légale pour afficher symboliquement son soutien au peuple palestinien tout en garantissant une expérience musicale forte. Peu d’organisateurs auraient osé maintenir ce fragile équilibre ! D’autant que cela expose le festival à des critiques venues… des deux bords.

Il y a là matière à réflexion pour tous les acteurs culturels européens sur leurs propres marges de manœuvre éthique face à l’hyper-financiarisation du secteur.

L’engagement culturel comme réponse à la crise globale ?

La direction du Sónar annonce vouloir ouvrir un espace dédié à « la réflexion sur le rôle de la culture face à la consolidation financière, la précarisation et les conflits géopolitiques ». En tant que témoin privilégié (et parfois critique) du milieu musical ibérique, je peux affirmer que cette volonté est loin d’être anecdotique.

Depuis 2022-2023 déjà, on sent monter une exigence nouvelle chez les publics jeunes : ils veulent comprendre POURQUOI leur festival favori fait tel ou tel choix. On ne vient plus seulement écouter son artiste préféré : on exige cohérence entre discours éthique et montage financier. Le don annoncé par Sónar aux ONG œuvrant à Gaza va donc bien au-delà du geste symbolique — il ouvre potentiellement la voie à un nouveau standard moral pour tous les grands événements européens.

Je recommande vivement le dossier "Culture et engagement : nouveaux terrains de lutte" publié récemment sur Mediapart.

En coulisses : paroles recueillies auprès des festivaliers et organisateurs

En discutant avec plusieurs habitués du Sónar lors des précédentes éditions (notamment lors du fameux after sur Montjuïc en 2023), j’ai noté deux constantes :

  • Beaucoup saluent le courage du festival, mais redoutent un effet domino sur d’autres événements moins solides économiquement.
  • La crainte persiste qu’une partie du public international « déserte » Barcelone si le climat politique autour de certains sponsors devient trop pesant… alors même que nombre de festivaliers arborent désormais fièrement keffieh ou pins militants !

Un directeur artistique catalan m’a confié off the record :

« Si nous voulons survivre comme scène indépendante européenne, il faudra accepter plus de transparence… même si cela gêne certains investisseurs ».
Cela résume parfaitement le dilemme auquel font face toutes nos institutions culturelles majeures aujourd’hui.

Vers quel futur pour les festivals européens engagés ?

Les prochaines années seront déterminantes. Ce cas Sónar amorce sans doute une ère nouvelle où chaque festival devra répondre non seulement aux exigences artistiques mais aussi aux attentes politiques (voire morales) de son public et de ses partenaires.
Dès 2025-2026 selon plusieurs observateurs espagnols que j’ai interrogés récemment, on devrait voir émerger deux modèles concurrents : celui des festivals ultra-indépendants autofinancés (mais fragiles) et celui des mastodontes globalisés contraints à toujours plus de pédagogie citoyenne.
La vraie question sera alors : jusqu’où iront-ils pour préserver leur identité sans se couper ni du grand public… ni des réalités financières internationales ? Affaire à suivre !

Questions fréquentes

Pourquoi tant d’artistes annulent-ils leur participation ?

Les artistes souhaitent souvent éviter toute association avec des fonds liés aux conflits internationaux ; c’est avant tout un geste militant ou éthique qui prime désormais dans leurs choix.

Est-ce risqué d’afficher publiquement son soutien au peuple palestinien lors du Sónar ?

Non si vous restez dans le cadre légal espagnol actuel ; au contraire, le festival encourage cette expression respectueuse tout en veillant à garantir sécurité et pluralité.

Est-ce que ce type d’engagement va changer durablement les festivals européens ?

Tout porte à croire que oui ! Les publics exigent plus de cohérence éthique et financière — c’est une mutation profonde dont nous sommes témoins depuis quelques années déjà.

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