Roman, identité et frontières floues : ce que Millás révèle vraiment

An elderly man sitting pensively at a wooden desk surrounded by half-finished books and swirling ghostly ideas, surrealist style, soft moody lighting, details of handwritten notes blurring into clouds of imagination.

Millás bouscule la frontière réel-imaginaire dans son roman. Comment la littérature devient-elle outil de salut ? Un regard inédit sur l'identité.

Quand la fiction explore le vrai : L’art du roman selon Millás

Parler de Juan José Millás, c’est évoquer un des auteurs les plus intrigants de notre époque, dont chaque livre interroge non seulement le réel mais aussi notre propre rapport à celui-ci. Dans son dernier roman Ese imbécil va a escribir una novela, Millás fait le choix d’une autofiction assumée pour mieux brouiller les repères entre réel et imaginaire. En lisant ses propos, je me suis immédiatement reconnu dans cette dualité permanente entre ce qu’on rêve d’accomplir et ce qu’on ose concrétiser.

La question centrale que pose l’auteur – « Qui est cet imbécile ? » – touche à une vérité universelle : nous portons tous en nous un alter ego perfectionniste qui n’ose jamais risquer l’imperfection du passage à l’acte. Comme Millás le souligne avec une ironie lucide, il y a toujours cette voix intérieure qui prétend pouvoir faire mieux… mais qui ne crée rien. Ce récit n’est donc pas seulement un jeu littéraire ; il s’agit d’une méditation existentielle sur nos propres blocages.

La frontière mouvante entre réalité et imagination

Millás insiste : vouloir compartimenter le réel et l’imaginaire serait une erreur. Nous rêvons d’objets avant de les fabriquer, nous transformons sans cesse nos souvenirs pour leur donner sens. Cette conception m’a bouleversé lorsque j’ai relu mes propres carnets : combien de souvenirs avais-je remodelés au fil du temps sans même m’en apercevoir ?

En tant que lecteur passionné de romans contemporains, je remarque souvent à quel point la littérature espagnole actuelle s’empare de ces zones grises. Millás rejoint ainsi une tradition où les frontières s’effacent (pensons à Javier Marías ou à Enrique Vila-Matas), chaque phrase naviguant sur la crête entre mémoire vécue et invention pure.

  • Anecdote personnelle : Lors d’un atelier d’écriture auquel j’ai participé en 2023, on nous avait demandé d’écrire « la vérité », mais chaque texte révélait davantage nos fantasmes que notre quotidien factuel…

Le pardon comme obsession culturelle et individuelle

L’autre grande force du roman réside dans sa réflexion sur le pardon. Millás s’appuie sur la tradition chrétienne pour interroger notre obsession contemporaine du rachat. Dans ma propre expérience, en échangeant avec des amis écrivains ou lecteurs assidus, ce besoin de recommencer à zéro – malgré les erreurs passées – revient sans cesse.

Ce que propose la littérature (et particulièrement celle de Millás), c’est peut-être justement cette possibilité de se réinventer par le texte, d’obtenir une forme de salut symbolique par l’acte créatif. Est-ce là un simple écho religieux ou une profonde nécessité humaine ? La question reste ouverte mais mérite d’être posée.

Pour approfondir cette idée fascinante du pardon et de la création comme renaissance symbolique, je recommande vivement cet entretien croisé sur France Culture.

Vieillir sans mode d’emploi : entre peur et exploration

Millás compare la vieillesse à un pays sans cartes ni repères. Cette image me frappe car elle inverse le cliché d’une sagesse acquise avec l’âge ; il parle plutôt d’un nouvel état de confusion proche… de l’adolescence ! C’est rare d’entendre un écrivain traiter ce sujet sans tomber dans la nostalgie ou la mélancolie attendue.

Dans mes échanges récents avec des seniors passionnés de lecture lors du Salon du Livre en 2024 à Arles, beaucoup exprimaient cette sensation étrange : découvrir des territoires intérieurs inexplorés une fois franchi un certain âge. L’approche décomplexée et franche proposée par Millás semble profondément résonner chez eux.

  • Petit conseil : Gardez précieusement vos journaux intimes ou carnets de notes ; ils deviennent souvent des guides précieux lorsqu’on entre soi-même dans ces « pays inconnus ».

L’écriture comme risque vital et acte libérateur

Écrire n’est pas sans danger : c’est accepter de laisser derrière soi des traces imparfaites, vulnérables aux regards extérieurs. Millás emploie la métaphore frappante du menuisier rêvant d’une chaise parfaite mais devant se contenter d’un objet tangible toujours imparfait… J’y vois là tout le génie des romanciers audacieux qui osent offrir au public leurs défauts autant que leurs fulgurances.

Dans un monde numérique où chacun publie instantanément ses pensées brutes sur les réseaux sociaux, ce rappel au courage authentique qu’implique le geste littéraire prend toute sa force. Il m’arrive moi-même d’hésiter longuement avant d’appuyer sur “envoyer” pour certains textes personnels — alors que l’essence même de la littérature est justement ce saut dans le vide.

Pour ceux intéressés par une réflexion approfondie sur les défis actuels du métier d’écrivain face au numérique et au lectorat changeant : L’évolution du journalisme littéraire analysée par Le Monde.

Du journalisme papier à l’univers digital : témoignage d’un grand témoin historique

Millás se souvient avec émotion de « l’âge d’or » du journalisme imprimé où lire un quotidien faisait partie intégrante du rituel matinal. Pour lui – comme pour nombre d’entre nous ayant connu cette période –, le basculement vers le digital a été aussi brutal qu’inédit. Il compare ce changement à celui du chasseur-cueilleur devenu agriculteur… C’est dire si ce bouleversement structure profondément notre rapport collectif à l’information !

J’observe personnellement chez certains jeunes auteurs une forme de nostalgie paradoxale : ils regrettent cet idéal jamais vécu où chaque article était attendu comme un événement majeur… tout en savourant leur liberté nouvelle offerte par internet.

  • Astuce : Pour allier plaisir sensoriel du papier et richesse numérique, je conseille les newsletters éditorialisées accompagnées parfois… d’extraits audio lus par l’auteur lui-même !

Clôture ouverte : chercher « quelque chose de petit »

Enfin, Millás confesse ne pas avoir encore trouvé « son dernier grand reportage ». Ce goût pour les petites choses porteuses de grands enjeux me rappelle pourquoi ses livres touchent si juste : parce qu’il trouve dans le minuscule (une anecdote banale, une hésitation intime) matière à explorer l’humain universel.

Au fond — que vous soyez auteur débutant ou simple lecteur curieux — c’est peut-être là la plus belle mission confiée par Millás : oser voir l’extraordinaire caché dans l’ordinaire.

Questions fréquentes

Où commence vraiment la frontière entre réalité et fiction selon Juan José Millás ?

Pour Millás, il n’existe pas de vraie frontière nette ; tout est continuum entre rêve, idée et matière concrète. La fiction naît souvent des failles ou des fantasmes non réalisés du quotidien.

La quête du pardon évoquée dans le roman est-elle purement religieuse ?

Non : bien qu’inspirée par le christianisme occidental, elle traduit avant tout notre besoin profond — individuel — de recommencer à zéro via divers substituts (littérature incluse).

Vieillir selon Millás : angoisse ou aventure ?

Plutôt aventure inconnue ! Il compare la vieillesse à l’adolescence : confusion garantie mais aussi potentiel immense pour redécouvrir sa propre identité sous un autre jour.

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