Premios Max : quand l’Andalousie réinvente la scène espagnole

A close up of a coconut on a plate

Et si les créateurs andalous étaient la nouvelle voix du théâtre espagnol ? Découvrez comment leur identité nourrit des œuvres audacieuses et universelles.

L’éclosion andalouse aux Premios Max : une reconnaissance attendue

Je me souviens encore de ce sentiment partagé il y a dix ans : être « andalou » dans le monde du spectacle pouvait ressembler à un fardeau, presque une étiquette à effacer pour s’imposer ailleurs en Espagne. Mais aujourd’hui, la scène théâtrale ibérique retient son souffle devant une révolution douce venue du sud. Aux Premios Max 2024, les talents d’Andalousie ne sont plus en marge – ils incarnent l’avant-garde. Pourquoi ce basculement ? Que disent ces artistes sur nous et notre époque ?

Sortir de l’ombre : identité et mémoire au cœur des œuvres

Les conversations menées récemment avec Sara Jiménez (danseuse), Juan Vinuesa (acteur), Rocío Hoces et Julia Moyano (fondatrices de La Rara), et Jorge Dubarry (distributeur) m’ont frappée par leur sincérité. Fini le temps où l’accent ou le nom de famille freinait une carrière ; aujourd’hui, l’ancrage andalou est vécu comme un moteur.

Sara Jiménez incarne cette renaissance. Nommée meilleure interprète féminine pour Ave de plata, elle revisite le mythe d’Actéon à travers un flamenco métissé d’influences contemporaines. Son travail transcende la tradition tout en s’y enracinant profondément. Elle collabore avec Juan Kruz Díaz de Garaio Esnaola (dramaturgie) et Miguel Marín Árbol (univers sonore) pour tisser des passerelles entre danses macabres médiévales et modernité.

Juan Vinuesa, quant à lui, porte sur scène une mémoire souvent occultée : celle de la Guerre Civile avec sa pièce « 1936 ». Il ose incarner Franco pour mieux disséquer l’histoire. Sa devise ? « Se souvenir n’est pas diviser ». Ce travail de mémoire résonne fort ici à Cordoue où tant d’histoires dorment dans les ruelles.

Santé mentale, autofiction… Quand l’intime devient universel

Autre virage passionnant : des thèmes longtemps tabous prennent désormais place sous les projecteurs. La compagnie La Rara – Rocío Hoces et Julia Moyano – propose avec Órgia un regard cru mais salutaire sur la santé mentale, nourri par des années d’enquête autour du légendaire hôpital psychiatrique Miraflores de Séville. J’ai vu leur spectacle jouer à Madrid devant une salle bouleversée ; la sincérité brute qui s’en dégage relie le local à l’universel.

Même audace chez Alma García (Contra Ana), qui fait résonner son expérience personnelle de l’anorexie dans une autofiction sans fard – saluée par le public à Palma del Río puis repérée par Jorge Dubarry pour les Max.

Ce n’est pas anodin : en Andalousie, parler vrai n’a jamais été simple. Voir ces récits intimes briser le silence m’émeut profondément ; c’est aussi cela voyager au cœur d’une culture vivante.

L’hybridation artistique comme ADN contemporain

Ce qui frappe dans toutes ces propositions finalistes aux Premios Max, c’est leur hybridité assumée. Le flamenco n’est plus cloisonné : il dialogue avec la danse contemporaine (Ave de plata), tandis que le théâtre politique (1936) assume un humour noir parfois grinçant (hérité du collectif Club Caníbal). Quant aux spectacles-événements comme ceux de La Rara ou Contra Ana, ils brouillent frontières entre récit personnel, engagement social et expérimentation scénique.

Il y a là un élan que je retrouve partout dans ma Cordoue natale : les jeunes compagnies osent mélanger les genres sans peur ni complexe – preuve que la création andalouse assume enfin toutes ses facettes.

De Cordoue à Pampelune : circuler pour exister… et innover !

Un autre point commun m’a marquée lors de mes échanges avec ces artistes : tous évoquent l’importance de sortir du giron régional pour se confronter au reste du pays voire au monde. Les dates se multiplient désormais bien au-delà du Guadalquivir : La Rara joue à Madrid, Sara Jiménez exporte sa création jusqu’en Europe du Nord…

Cet aller-retour constant nourrit la vitalité artistique locale, mais permet aussi aux regards extérieurs de découvrir combien notre héritage peut inspirer des formes nouvelles. Comme disait Vinuesa lors d’un atelier auquel j’ai assisté près du Théâtre Góngora : « Ne restez pas enfermés – allez vers les autres ! » Une invitation qui vaut autant pour les artistes que pour nous voyageurs curieux…

L’engagement récompensé : ce que racontent vraiment les prix Max

Remporter un prix reste symbolique ; mais être sélectionné exprime déjà beaucoup. Cette année plus que jamais, on sent que ces nominations valident non seulement des parcours personnels mais aussi toute une manière andalouse d’habiter le monde : travailler ensemble malgré tout, puiser dans nos blessures partagées pour raconter autrement la réalité contemporaine.

Jorge Dubarry résume bien cet esprit collectif lorsqu’il rappelle que plusieurs projets sont nés sans soutien institutionnel mais grâce à une entraide obstinée entre jeunes compagnies voir aussi ce dossier approfondi sur le renouveau théâtral espagnol. C’est peut-être là le vrai message adressé au public français comme espagnol – venez voir ce que peut donner la solidarité mêlée au goût du risque !

Voyager autrement : quand théâtre rime avec rencontres humaines

En suivant ces trajectoires singulières depuis Cordoue jusqu’à Pampelune ou Madrid, j’ai compris qu’explorer l’Andalousie ne consiste pas seulement à visiter ses monuments somptueux. S’immerger dans son effervescence artistique actuelle permet aussi d’entrevoir comment mémoire collective, innovation esthétique et engagement citoyen tissent ensemble notre présent commun.

Si vous souhaitez découvrir cette dynamique in situ lors d’un passage à Cordoue ou Séville, surveillez les programmations indépendantes ou les festivals satellites du Festival Internacional de Teatro Clásico. Rien ne vaut une soirée passée à dialoguer après une représentation autour d’un verre de Montilla !

Questions fréquentes

Les spectacles finalistes abordent-ils toujours des sujets liés à l’Andalousie ?

Non – même s’ils partent souvent d’expériences locales ou personnelles, leurs thèmes touchent des enjeux universels comme la mémoire collective ou la santé mentale.

Peut-on voir ces créations ailleurs qu’en Andalousie ?

Oui ! Beaucoup tournent régulièrement en Espagne et parfois en Europe. Vérifiez toujours leurs calendriers officiels avant votre voyage.

Pourquoi parle-t-on tant de "hybridation" artistique chez ces artistes ?

Parce qu’ils combinent sans complexe différentes disciplines (flamenco contemporain, théâtre politique…) afin d’exprimer pleinement leurs préoccupations actuelles.

Photo by Danielle-Claude Bélanger on Unsplash

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