Leucémie : comment elle a bouleversé mon regard sur la vie et le théâtre

A slender man with expressive eyes sits pensively in a sunlit Madrid apartment, surrounded by theater scripts and black-and-white family photographs. Photorealistic editorial style, natural light highlighting both frailty and resilience, intimate atmosphere with subtle hints of medical treatment (medication box on table), evoking introspection and hope.

Découvre comment la leucémie a transformé ma façon de voir la vie, entre mémoire, vulnérabilité et passion du théâtre. Un récit sincère, inattendu.

Gravir l’Everest intérieur : quand la leucémie chamboule tout

On ne choisit jamais le moment où le corps nous lâche. Pour moi, c’était au sommet d’une période créative intense : un tournage américain qui venait de s’achever, une mise en scène en préparation à Madrid… puis ce coup de massue dans la poitrine. Je croyais avoir tout prévu — jusqu’à devoir confier ma vie à un hôpital californien, incapable même de rentrer me soigner en Espagne. Le diagnostic tomba comme une sentence : leucémie.

Mon frère m’a littéralement sauvé la vie grâce à sa moelle. Mais si la maladie s’est effacée pour l’instant, les séquelles sont partout : marcher devient un défi quotidien, mon énergie oscille au gré des médicaments, et chaque escalier est une montagne. Pourtant — et cela peut surprendre — je ne reviendrais pas en arrière.

« Il fallait sans doute traverser cette tempête pour enfin goûter la lumière du présent. »

Aujourd’hui, j’apprends à réapprivoiser mon propre corps. À vivre sans attentes écrasantes ni fausse urgence. Ce que j’ai découvert ? La maladie n’a pas réduit mes ambitions artistiques : elle les a rendues plus viscérales.

Le vrai visage de l’imposteur : se regarder enfin en face

Dans « 730 jours », j’ouvre les portes sur mes peurs d’enfant comme d’adulte. La maladie n’a fait qu’amplifier ce vieux syndrome de l’imposteur — ce sentiment de n’être qu’un rôle parmi d’autres, jamais vraiment soi-même… jusqu’au jour où il faut se dépouiller devant soi-même et accepter ses multiples facettes.

Enfant du Batán populaire mais scolarisé au très bourgeois Lycée Français, j’ai longtemps jonglé entre identités. J’étais le « heavy » du lycée chic et le « pijo » du quartier ouvrier – acteur par nécessité avant même d’en faire mon métier ! Cette capacité d’adaptation m’a protégé aussi bien qu’elle m’a isolé.

La vulnérabilité n’est plus honteuse ; elle est ma matière première aujourd’hui. J’ose désormais me regarder dans le miroir sans détourner les yeux – un luxe dont je me privais depuis toujours.

Faire la paix avec l’héritage familial : ombres et lumières

Raconter son histoire familiale dans toute sa complexité exige du courage et beaucoup de recul. Mon père fut à la fois source d’effroi et d’immense tendresse — son souvenir me hante encore autant qu’il me porte.

À lui surtout je dédie ce livre comme une lettre d’amour que je n’ai pas su écrire vivant. Maman aussi occupe une place ambivalente : protectrice solaire mais souvent absente physiquement pour subvenir à nos besoins, semant en moi un vide dont je mesure seulement maintenant l’impact.

Quant à mes grands-parents maternels – exilés entre Moscou et Pékin –, leur destin hors norme attend encore son heure littéraire ou scénique… Un héritage chargé de secrets (la fameuse bibliothèque codée !) mais aussi de promesses créatives.

Le théâtre-document comme outil de mémoire vive

Ce que la maladie n’a pas altéré chez moi ? La passion militante du théâtre comme lieu de questionnement collectif. Avec « Blaubeeren », présenté aux Teatros del Canal cette année, j’ai voulu explorer cette fascinante banalité du mal qui traverse notre histoire européenne — inspirée par ces photos anodines mais glaçantes retrouvées à Auschwitz.

Le documentaire scénique devient alors thriller : chaque image est un puzzle moral à reconstituer en direct avec le public. Impossible aujourd’hui pour moi de séparer l’engagement politique du geste artistique ; toute pièce, même divertissante en apparence, prend position sur le monde qui l’entoure.

Retrouver physiquement mes acteurs après deux ans d’absence fut un bonheur inouï ; toucher les décors organiques fait partie intégrante de ma démarche sensible désormais – comme si chaque élément sur scène avait pris chair et âme depuis mon épreuve médicale.

« Le théâtre est devenu non seulement catharsis mais acte militant contre l’oubli collectif et individuel. »

Spiritualité discrète mais essentielle : apprendre à respirer… autrement

Loin des dogmes religieux, ma spiritualité s’enracine dans l’écoute du corps, des rêves et des intuitions partagées — une forme chamane transmise par ma compagne depuis vingt ans autant que par ma mère.

J’ai redécouvert le pouvoir des rituels simples : méditation quotidienne (même alitée), lectures initiatiques ou dialogues silencieux avec ceux qui ne sont plus là physiquement mais continuent de veiller sur moi intérieurement.

Prendre soin de soi passe souvent par ces micro-actes qu’on néglige trop dans notre course occidentale effrénée… La maladie m’a obligé à ralentir au point d’entendre enfin les battements essentiels sous la cacophonie ambiante.

Transmission(s) : continuer malgré tout et grâce à tout…

Au fond, transmettre est devenu mon moteur secret : transmission artistique évidemment (je rêve déjà d’écrire avec mon frère autour des archives familiales), mais aussi transmission humaine auprès des jeunes comédiens ou lecteurs qui croisent mon chemin.
La fragilité physique qui persiste n’empêche pas ce désir brûlant d’avancer côte à côte avec ceux qui veulent bien entendre cette vérité toute simple : il n’y a pas besoin d’attendre une catastrophe pour commencer à vivre pleinement.
J’espère simplement que ce livre trouvera chez quelques-uns cet effet miroir qui a tant compté pour moi — car écrire était avant tout une façon de survivre ici et maintenant.

Questions fréquentes

### Peut-on vraiment "guérir" totalement d’une leucémie ?
On parle rarement de guérison totale avant dix ans sans rechute ; officiellement on reste "en rémission" longtemps car les risques persistent malgré tout.

### Comment concilier création artistique intense et convalescence ?
Pour moi, rester plongé dans la création m’a permis non seulement d’oublier la douleur physique mais aussi de donner sens au chaos intérieur ; il faut cependant savoir respecter ses limites nouvelles chaque jour.

### L’autobiographie aide-t-elle vraiment à avancer après la maladie ?
Oui ! Écrire permet non seulement d’organiser ses souvenirs mais aussi de prendre distance face aux traumatismes : c’est une thérapie active doublée parfois d’un acte généreux envers autrui qui s’y reconnaîtra.

A lire aussi