L’Art de l’Exagération Linguistique
Nous avons tous des dettes accumulées au fil des ans dans notre vie sociale, professionnelle ou affective. Pour ma part, cela fait plusieurs mois que j’ai cette idée obsessionnelle dans la tête, celle de ma dette envers ma femme, protagoniste de cette chronique sur les syndromes linguistiques. Eh bien, mes amis, je crois que le moment est venu de célébrer l’hyperbole en tant que ressource expressive et signe d’identité de Madame Barbosa et d’autres filles extrêmement divines. Car oui, cher lecteur, l’exagération linguistique omniprésente dans nos conversations au bar, en nos convictions morales et dans les milliers de vidéos sur les réseaux sociaux m’aide à comprendre pourquoi ma femme découvre toujours les nuances extrêmement cachées de la vie, tandis que moi, pauvre mortel perdu dans le labyrinthe des fictions, je n’arrive pas à exprimer à quel point sa dernière tenue à un prix très abordable dans la boutique de cette jeune fille qui vend des vêtements adorables lui va à ravir. Pouah ! Je suis presque asphyxié par autant de mots superlatifs et hyperboliques ! Je ne sais pas si je m’explique bien.
Je suppose que les lecteurs les plus expérimentés et perspicaces partageront avec moi ce sentiment selon lequel nous sommes entourés (je dirais même assiégés ou colonisés) par un langage en carton-pâte qui glorifie toute réalité, aussi insignifiante ou banale soit-elle. Souvent, les médias, les plateformes numériques (et ma femme) s’efforcent de nous présenter des "faits jamais vus dans l’histoire de l’humanité", "un crayon pour les yeux qui changera votre vie à jamais" ou encore "un chemisier aux couleurs printanières qui correspond totalement à votre visage et qui s’accorde parfaitement avec tout ce que vous portez. C’est pourquoi, vous êtes la diva la plus divine de toutes les divas". La vie de Jorge Andrada et ses circonstances, mon cher ami. Un humble philologue éduqué aux bienfaits et aux bénéfices spirituels du "aureas mediocritas" ou de la moyenne dorée. Un professeur de langue et de littérature installé par sa propre volonté dans une relative aisance littéraire, sans envie ni avidité pour le botox des autres. Un idéal de langue marqué par la simplicité au fond et la retenue dans les formes. Tous ces principes de communication tombent à l’eau lorsque je sors acheter des vêtements avec ma femme et que la puissante hyperbole plie ma volonté dans les situations suivantes :
L’utilisation emphatique des adjectifs
Si pour moi une veste me va simplement "bien ou mal", pour Madame Barbosa tout est amplifié et elle déclare que "la veste est adorable, fantastique, elle te va super bien. Tu ressembles à un jeune de vingt ans. Je n’y ai pas réfléchi plus d’une seconde parce qu’elle te va comme un gant". Comme l’amour est beau ! Un autre fait curieux découlant du précédent est l’utilisation des verbes. Les vieux ringards ancrés dans le siècle dernier se contentent du verbe "aimer" dans sa double version affirmative et négative : "J’aime ce blouson. Je ne l’aime pas". Cependant, il est curieux de constater que ma femme ne recourt jamais à ce verbe si ennuyeux. Elle préfère les verbes hyperémotionnants et superexcitants comme "Je suis époustouflé par les boutons de la veste" ou les verbes affectifs comme "J’adore comment te vont les manches" ou "J’aime la fermeture avant. Cela met en valeur ta silhouette et te rend plus mince. J’ai adoré". Parfois, je dois avouer que je doute. Pourquoi payer un psychologue ?
L’utilisation des adverbes pour mettre en valeur les qualités des adjectifs
Ainsi, devant l’affirmation timide et incertaine "Je pense que le pantalon me va bien. Peut-être un peu juste", elle sort l’artillerie expressive lourde et réagit en une fraction de seconde avec "Le pantalon te va parfaitement bien. Il est vraiment élégant. Incroyablement moderne".
Les affirmations soutenues par des chiffres stratosphériques
Ce n’est plus suffisant de dire que "ce chemisier me va mieux que celui que je porte habituellement pour les événements sociaux", mais au contraire, "ce chemisier te va des millions de fois mieux que ce vieux chemisier au col usé que tu as porté des milliers de fois depuis plus de vingt ans. Cent fois mieux. C’est une merveille !" Quelle ode ! Je l’emporte sans hésitation !
En fin de compte, l’art de l’exagération linguistique est sans doute un moyen pour ma femme de montrer à quel point elle m’aime et à quel point elle est fière de moi. Et bien que cela puisse parfois m’agacer, je suis conscient que c’est ce qui rend notre relation unique et spéciale. Alors, mes chers lecteurs, n’ayez pas peur d’utiliser l’hyperbole dans vos conversations car après tout, l’amour est la plus belle exagération de toutes.
