Partager 0FacebookTwitterPinterestEmail 17 Découvre pourquoi la satire de Perišić, située dans une Croatie en transition, nous parle tant d’hier… et d’aujourd’hui, entre humour noir et mémoire vive.Un voyage littéraire au cœur de la Croatie post-soviétique En tant que Cordouane curieuse du monde, j’aime explorer ces coins d’Europe qui semblent hors du temps. En lisant Le dernier artefact socialiste de Robert Perišić, je me suis retrouvée transportée loin des ruelles chaudes de la Judería vers un no man’s land croate où le passé socialiste se heurte à la débrouille capitaliste contemporaine. Pourquoi ce roman m’a-t-il tant marquée ? Parce qu’il pose sur une petite ville invisible – N. – le regard acéré d’un observateur qui sait combien les transitions historiques bouleversent le tissu même des lieux et des êtres. Ce n’est pas seulement une fresque sociale ; c’est un miroir tendu à toutes nos petites cités européennes délaissées par les projecteurs du tourisme ou du progrès. Le roman s’attarde sur les cicatrices invisibles laissées par la guerre et les promesses non tenues du capitalisme, que j’ai souvent retrouvées lors de mes pérégrinations en Andalousie rurale ou dans l’arrière-pays balkaniques. Entre satire cinglante et mélancolie urbaine : une ville comme « No Lieu » La ville de N., jamais vraiment nommée ni située précisément, devient ici le personnage principal. C’est un espace de flottement, presque un « no-lieu » au sens anthropologique : ni vraiment relié au passé ni ancré dans l’avenir. Cette sensation de décalage m’évoque certaines villes andalouses oubliées de l’essor touristique où règnent à la fois nostalgie et espoir ténu. Chez Perišić, tout respire la désillusion : l’ancienne usine autogérée n’est plus qu’une coquille vide, le pub El Lago Azul flotte comme un clin d’œil ironique aux loisirs sans joie. Les habitants sont marqués par une vie « entre-deux », oscillant entre les souvenirs d’un communisme disparu et l’adaptation laborieuse au nouveau capitalisme sauvage. Il y a là une résonance universelle pour tous ceux qui connaissent ces territoires « en marge », où la grande Histoire laisse place à mille petites histoires intimes et secrètes. Oleg et Nikola : figures modernes de la picaresque balkanique Les deux protagonistes – Oleg le rusé et Nikola le taciturne – débarquent à N. avec leur plan louche : relancer fictivement l’usine pour fabriquer deux turbines destinées à un obscur dictateur. Ils incarnent cette nouvelle forme de picaresque postmoderne qu’on retrouve aussi dans certains récits andalous contemporains – ces anti-héros capables du meilleur comme du pire pour survivre dans une société où tout repère a volé en éclats. Vous pourriez être interessé par Comprendre la condamnation d’Hadi Matar et ses implications 16 mai 2025 La Duquesa de Benamejí : immersion théâtrale au cœur d’un village andalou 4 juin 2025 Ce que j’ai trouvé fascinant chez Perišić, c’est son refus du manichéisme : chaque personnage porte ses ombres mais aussi ses failles touchantes. On pense aux grandes plumes croates évoquées (Drndić, Ugrešić…) qui savent brosser des portraits nuancés loin des clichés occidentaux sur les Balkans. Entre héritage socialiste et mirages du marché : réflexion universelle sur la transition La force du roman réside dans sa capacité à capter ce moment-charnière où les valeurs s’inversent brutalement. Ici, l’autogestion ouvrière se transforme en mascarade capitaliste ; là-bas en Espagne ou en France, on observe aussi ces glissements subtils entre traditions collectives et individualisme contemporain. Perišić utilise avec brio la satire pour dénoncer non seulement les travers des sociétés post-communistes mais aussi notre propre fascination pour le progrès sans racines. Je me rappelle encore avoir discuté avec des habitants d’Almodóvar del Río autour d’un café tiède sur ce sentiment d’être laissés pour compte après chaque « modernisation » imposée depuis Madrid ou Bruxelles. À travers son récit tragi-comique (où même l’art contemporain devient objet de moquerie), il montre comment chaque société tente tant bien que mal d’apprivoiser son passé tout en composant avec les diktats changeants du présent — voir cette analyse fine qui replace le roman dans son contexte européen plus large. La mémoire blessée : comprendre l’Europe d’aujourd’hui depuis N. Si j’avais un conseil à donner aux voyageurs francophones curieux (comme moi) des identités multiples qui forment notre continent : plongez-vous dans ce roman avant même de poser le pied à Split ou Zagreb ! Car derrière l’ironie mordante perce surtout une tendresse immense pour ces peuples cabossés par l’Histoire. Il y a chez Perišić un art rare de mêler humour noir (proche parfois du cinéma d’Aki Kaurismäki) et analyse politique subtile, bien loin des caricatures habituelles sur l’ex-Yougoslavie — cette émission culturelle complète utilement cette lecture si vous souhaitez aller plus loin. Lire Le dernier artefact socialiste, c’est finalement regarder autrement nos propres territoires oubliés ou périphériques. Cela m’a rappelé combien Cordoue elle-même oscille sans cesse entre tradition et modernité — loin des cartes postales touristiques — mais toujours riche de contradictions fécondes et humaines. Questions fréquentes Ce roman est-il accessible sans connaître l’histoire croate ? Absolument ! Même sans expertise préalable sur les Balkans ou la Croatie, on se laisse porter par cette fable universelle sur la perte et la recomposition des repères sociaux. Le contexte historique enrichit certes le propos mais n’enferme jamais le lecteur. Comment retrouver ce mélange unique de satire et de mélancolie ailleurs ? On retrouve ce ton mi-ironique mi-tendre chez certains auteurs espagnols contemporains comme Javier Cercas ou dans le cinéma finlandais d’Aki Kaurismäki — une façon délicate d’aborder les mutations sociales sans juger hâtivement. Y a-t-il un lien avec Cordoue ou l’Andalousie ? Indirectement oui ! Les thèmes abordés – villes marginales, mémoires conflictuelles, transitions économiques – font écho aux évolutions vécues par plusieurs régions andalouses après la fin du franquisme ou lors des reconversions industrielles. Photo by Viktor Forgacs on Unsplash Littérature Partager 0 FacebookTwitterPinterestEmail María Fernanda González María est notre journaliste voyage basée à Cordoue. En tant que Cordouane et exploratrice du monde, elle possède un talent particulier pour connecter les voyageurs francophones à l'essence de sa ville. Sur Escapade à Cordoue, María partage ses découvertes, ses conseils d'experte locale et ses récits qui donnent vie au patrimoine et à la culture vibrante de Cordoue et de l'Andalousie. Elle explore aussi bien les ruelles historiques de la Judería que les métropoles lointaines, toujours en quête d'histoires qui relient les gens et les lieux. Ses contributions sont une invitation à voir Cordoue à travers les yeux d'une passionnée, offrant des clés pour un voyage enrichissant en Andalousie. entrée prédédente Robert Perišić : Pourquoi l’ironie mélancolique captive notre époque ? entrée suivante Transferts PSG : Pourquoi Mastantuono a préféré Madrid, vu de Cordoue A lire aussi Tu ne l’avais jamais remarqué ? 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