La leucémie m’a appris : théâtre, vulnérabilité et seconde tempête

Sergio Peris-Mencheta assis près d’une grande fenêtre d’hôpital, regard pensif sur un carnet, lumière douce de fin d’après-midi, atmosphère intime et réaliste, détails de carnets ouverts et appareils médicaux discrets en arrière-plan.

Et si la scène devenait un navire pour survivre à la leucémie ? Plonge dans ce récit rare où l’art et la maladie se confrontent sans tabou.

Ma tempête invisible : le théâtre face à la maladie

Être acteur, pour moi, c’est naviguer entre deux désirs puissants : changer le monde à travers la scène, et recevoir ce regard du public qui te dit « tu existes ». Mais rien ne t’apprend autant sur toi-même que de voir ta propre vie basculer. Quand la leucémie aiguë s’est invitée sans prévenir, j’ai compris que même le plus solide des capitaines doit parfois laisser son navire dériver.

Le théâtre m’avait toujours permis de jouer — au sens enfantin du terme. Cette envie viscérale de piraterie ludique m’accompagne depuis l’enfance, quand je rêvais encore de ce fameux bateau Playmobil jamais reçu. J’ai fait du théâtre mon Barco Pirata, une arche où tout est possible. Pourtant, dans cette chambre blanche du City of Hope à Los Angeles, la scène s’est déplacée en moi.

Solitude partagée et regards croisés : parler vrai sur la maladie

Ceux qui n’ont pas traversé cette tempête imaginent mal à quel point l’épreuve isole. Même entouré des bras aimants de Marta — mon ancre dans tous les ports — j’ai ressenti une solitude radicale. Ce n’est pas qu’on manque d’amour ; c’est qu’il y a une langue secrète que seuls les compagnons d’infortune parlent. Les rencontres avec d’autres malades étaient impossibles à cause des risques : chacun restait cloîtré dans sa cabine.

C’est là que l’écriture s’est imposée comme un acte urgent. Écrire « 730 jours », c’était tenter de créer ce livre-refuge que j’aurais tant aimé lire moi-même au fond du gouffre. Un miroir tendu à ceux qui n’ont pas choisi leur traversée, mais doivent avancer malgré tout.

« La vie commande ; il y a un moment où il faut lâcher prise… »

Cette phrase a longtemps résonné en moi. Elle brise l’illusion du contrôle mais invite aussi à l’humilité.

Entre fiction et réel : comment la scène sauve (ou pas)

Avant Hollywood ou les planches madrilènes, avant même Al salir de clase (où je ris encore aujourd’hui d’avoir été ‘le niñato’ !), c’est le jeu pur qui m’a sauvé maintes fois. À travers chaque rôle — boxeur rompu ou héros improbable — je cherchais une issue hors du réel trop étroit. Mais jamais une transformation physique ou une immersion totale n’égale le dépouillement que réclame la maladie.

Je me suis rappelé Peter Brook — rencontre magnifique puis désillusion crue. Comme lui, je crois qu’il faut revenir à l’essence du théâtre : toucher le cœur par-delà les masques. Ironie tragique : au chevet de ma leucémie, plus aucune pose n’était possible.

Aujourd’hui je comprends mieux pourquoi certains spectacles touchent juste : parce qu’ils naissent non du besoin d’apparaître mais d’un vertige authentique devant notre précarité commune.

Hériter des tempêtes : famille et transmission contrariées

Derrière le rideau doré se cachent souvent des histoires moins reluisantes. La mienne porte les cicatrices d’une éducation heurtée – un père dur comme pierre (“un gilipollas emocional”, ai-je osé écrire). Avec Ahmed Younoussi et Juan Diego Botto, on a accouché ensemble de « 14.4 », cette pièce forgée entre Skype hospitalier et souvenirs douloureux. Parler enfin vrai sur les violences reçues ou transmises n’a rien d’anodin ; c’est ouvrir un espace où chacun peut reconnaître sa part blessée sans honte.

Ma famille maternelle traîne derrière elle l’exil stalinien et maoïste – lourde valise historique qui donne sens aux luttes contemporaines contre toutes les formes d’oppression (à lire ici). L’art sert alors à transformer ces héritages toxiques en matière vivante pour demain.

Retrouver l’équilibre : entre reconnaissance et authenticité artistique

Naviguer entre succès public (Snowfall côté Hollywood) et création engagée (Barco Pirata) m’a appris que l’équilibre est fragile. Plus on devient visible, plus il devient difficile d’être cru sincèrement sur scène – car le public ne vient plus forcément voir “l’œuvre”, mais “la star”. Cette tension est saine si on sait s’y confronter honnêtement : ni fuir la lumière ni s’y brûler sans discernement.

Créer aujourd’hui « Blaubeeren » ou documenter ma maladie (« Constelaciones » arrive bientôt au CDN) sont autant de manières d’avancer vers cet équilibre exigeant entre partage intime et exigence artistique (Centre Dramatique National).

Conseils aux voyageurs malgré eux : quelques balises personnelles

À ceux qui entrent malgré eux dans la tempête d’une maladie grave, voici ce que j’aurais voulu entendre :

  • Acceptez votre vulnérabilité : elle n’est pas faiblesse mais force nouvelle.
  • Trouvez votre manière propre de raconter : parler ou écrire change tout lorsque surgit le chaos.
  • N’ayez pas honte du besoin de reconnaissance : il nous relie aux autres humains par-delà nos fragilités.
  • Transformez votre histoire : elle peut devenir phare pour quelqu’un perdu en mer — même (surtout) si vous vous sentez seul à bord.

Chaque parcours est unique ; aucun conseil ne remplace la chaleur humaine ou la nécessité de s’abandonner parfois au courant…

Questions fréquentes

Comment concilier carrière artistique et maladie grave ?

Il faut accepter de ralentir temporairement ses projets sans culpabiliser ; parfois écrire ou créer différemment aide aussi à retrouver un sens nouveau pendant cette parenthèse imposée.

Le théâtre aide-t-il vraiment à affronter la solitude des soins ?

Oui — même symboliquement ! Imaginer chaque journée comme une scène différente permet souvent de garder intacte une parcelle de liberté intérieure face à l’angoisse quotidienne.

Peut-on parler librement du mal-être familial dans son art ?

Absolument – c’est même libérateur ! La sincérité touche profondément lorsqu’elle ose aborder les sujets intimes trop souvent tus en société ou dans certaines familles traditionnelles espagnoles.

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