Kramatorsk, mémoire vive : comment l’horreur forge notre humanité

a book with a leaf on top of it next to a pair of glasses

TL;DR

  • 💥 Survivre par hasard laisse des cicatrices invisibles
  • 🕯️ Rendre hommage aux victimes devient une mission intime
  • 🌱 Même au cœur du chaos, la vie cherche toujours à renaître

Kramatorsk, souvenir brûlant d’une tragédie trop humaine. Pourquoi certains survivent-ils et d’autres pas ? Dans cet article, je partage sans filtre ce que la guerre m’a appris sur la culpabilité, la mémoire et ce qui, envers et contre tout, nous rattache à la vie.

La survie comme accident : porter le poids de l’improbable

Quand on évoque Kramatorsk aujourd’hui, beaucoup pensent aux reportages ou aux statistiques. Mais pour moi – témoin malgré moi –, ce nom vibre comme un battement irrégulier dans la poitrine. Je n’étais ni soldat ni journaliste de guerre. J’y suis allé par amitié, par faiblesse peut-être ; pour accompagner des collègues dont le courage tranchait avec ma prudence chronique.

L’explosion qui a coûté treize vies ce soir-là m’a épargné par une circonstance dérisoire : mon audition défaillante m’a poussé à échanger de place avec Victoria Amelina. Ce genre d’accident biographique ne vous quitte jamais vraiment – il s’incruste dans les plis du quotidien.

La question que je me pose depuis est simple mais obsédante : pourquoi ai-je survécu ? Le sentiment de culpabilité est insidieux ; il se niche là où s’arrêtent les explications rationnelles. Ceux qui ont échappé au pire savent combien le soulagement côtoie le chagrin.

Mémoire et responsabilité : écrire pour ne pas oublier

Dans "Maintenant et à l’heure", j’ai voulu préserver plus qu’un témoignage – j’ai voulu prolonger le souffle de celles et ceux dont la voix s’est tue. Victoria Amelina était là pour faire vivre les souvenirs des autres ; en mourant à ma place, elle m’a légué ce fardeau délicat.

Je n’avais jamais eu vocation à être reporter ou enquêteur – mon métier consiste à raconter l’intime plutôt que la violence. Pourtant me taire aurait été une seconde trahison. Écrire n’est ni exorcisme ni simple hommage : c’est façonner une mémoire commune où chaque lecteur porte un fragment de l’histoire.

Cette mission involontaire trouve son écho chez tant d’Ukrainiens croisés lors de ce voyage : jeunes éditrices publiant en ukrainien malgré toutes les pressions historiques ; bénévoles documentant des crimes pour éviter leur effacement… Chacun tente d’arracher au néant quelques bribes de sens.

L’héritage des victimes : comment continuer malgré tout ?

Le retour fut brutal : colère muette de ma famille qui découvre après coup le risque encouru ; silence lourd autour des pertes absurdes – deux jumelles mortes devant leur père survivant… Il y a dans chaque tragédie collective une blessure privée qui rejaillit sur plusieurs générations.

Et puis surgit la vie : apprendre que je deviendrai grand-père de jumeaux alors même que j’écrivais sur ces fillettes fauchées a pris des allures quasi mystiques. Comme si la vie tenait absolument à refaire surface là où règne le désespoir.

Ma conviction ? Refuser d’oublier ne suffit pas ; il faut aussi protéger ces liens ténus qui nous relient encore au futur – enfants à naître, amitiés nouvelles nées sous la menace… C’est cette tension entre mémoire douloureuse et désir obstiné de bonheur qui me semble constituer notre humanité profonde.

Résonances contemporaines : Ukraine oubliée ?

Aujourd’hui (en 2024), alors que d’autres conflits saturent l’espace médiatique et relèguent l’Ukraine en arrière-plan, je ressens une urgence particulière à rappeler que rien n’est acquis :

« Nous sommes dangereusement proches d’un monde régi par des hommes forts », écrivais-je récemment.
L’histoire nous enseigne pourtant qu’il faut préserver coûte que coûte ces fragiles espaces démocratiques où chacun a droit à sa voix — aussi bien en Ukraine qu’ailleurs.

Pour aller plus loin sur le contexte ukrainien : Dossier spécial – Le Monde
Pour comprendre comment naît et se transmet la mémoire collective : Article approfondi – France Culture

Questions fréquentes

Pourquoi écrire sur un traumatisme personnel aussi fort ?

Parce que rester silencieux serait laisser mourir deux fois celles et ceux dont j’ai partagé brièvement le destin. Écrire permet aussi d’offrir aux lecteurs une occasion rare de réfléchir au prix réel de nos engagements.

Peut-on sortir indemne psychologiquement après avoir vécu une attaque comme celle de Kramatorsk ?

Non — pas totalement. Même sans blessures physiques visibles, le choc psychique perdure longtemps. Avec le temps toutefois (et grâce au soutien familial), on apprend à transformer cette douleur en vigilance renouvelée face au présent.

Quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs français concernant l’Ukraine aujourd’hui ?

Ne vous laissez pas distraire par l’actualité fluctuante ! L’avenir européen dépend aussi du sort fait aux peuples menacés — y compris en Ukraine.

Photo by melanfolia меланфолія on Unsplash

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