Exil espagnol au Maghreb : Ce que révèlent les archives cachées de Córdoba

a view of a building with a golden statue on top of it

L'exil espagnol au Maghreb reste méconnu : découvrez à la Casa Árabe de Córdoba des récits bouleversants, tissés d'émotions et d'objets intimes.

Un exil oublié : l’Espagne du Levant vers le Maghreb

À Córdoba, la Casa Árabe accueille une exposition rare et émouvante sur l’exil espagnol en Afrique du Nord entre 1939 et 1962. Dès ma première visite, j’ai ressenti un frisson devant ces clichés en noir et blanc, ces lettres froissées et ces objets rescapés d’une traversée douloureuse.

On parle beaucoup des exilés républicains partis en France ou en Amérique latine après la Guerre Civile. Mais qui se souvient des 13 000 Espagnols ayant pris la mer — souvent à la dernière minute — pour trouver refuge au Maroc, en Algérie ou en Tunisie ? Ces histoires sont restées longtemps dans l’ombre, transmises à huis clos entre familles ou conservées dans quelques cercles universitaires. Cette exposition les éclaire enfin d’une lumière chaleureuse.

« Il fallait toucher le cœur avant tout », explique Juan Valbuena, commissaire visuel de l’exposition. Et c’est bien ce que j’ai ressenti : l’histoire ici n’est pas seulement écrite, elle est vécue.

Couleurs de l’exil : émotions à fleur de peau

La scénographie fait voyager le visiteur à travers un arc-en-ciel émotionnel : peur lors du départ précipité d’Espagne ; indignation face à l’accueil froid des autorités françaises ; espoir dans la victoire alliée ; résignation devant un retour sans cesse reporté. J’ai été frappée par l’association entre chaque salle et une couleur : bleu sombre pour la traversée nocturne du Stanbrook (ce navire mythique où plus de 3 000 personnes prirent place clandestinement), jaune pâle pour la lumière blafarde des camps d’accueil improvisés…

Pour moi qui ai grandi entourée de récits sur l’après-guerre mais rarement sur cet exil africain, c’était une révélation sensorielle. On devine derrière chaque photo non seulement une histoire politique mais aussi les palpitations intimes – les peurs, les élans de solidarité improvisés autour d’un café ou d’un patio.

Des réseaux de survie : cafés et patios comme ancrages identitaires

Les exilés ont dû rapidement inventer une nouvelle vie. À Oran ou Casablanca naissent alors des réseaux solidaires où communistes, socialistes et anarchistes côtoient militaires et artistes. Les cafés deviennent des havres où circulent informations et souvenirs ; les patios bruissent d’anecdotes familières.

Ce tissu social a permis à beaucoup de tenir bon. J’ai eu la chance d’échanger avec Marta, descendante d’exilés cordouans installés à Alger : « Mon grand-père organisait chaque dimanche une lotería chez lui, tous les enfants du quartier y participaient… C’était notre façon de garder vivante notre Espagne intérieure ».

Ces lieux – modestes mais essentiels – sont évoqués dans l’exposition par des objets minuscules mais puissants : une cuillère estampillée US Army léguée par un soldat allié ou encore un carnet de chants révolutionnaires griffonné sur du papier jauni.

Entre archives officielles et mémoires intimes : sortir du silence

Ce qui distingue cette exposition (et lui donne toute sa force), c’est ce « dialogue » entre archives institutionnelles (rapports officiels, listes d’embarquement) et albums familiaux sauvés parfois in extremis. On ressent ainsi toute la difficulté – mais aussi la nécessité – de faire sortir ces vies ordinaires de l’anonymat.

Dans mon métier de journaliste voyageuse enracinée à Córdoba, j’observe combien notre patrimoine collectif est tissé de silences ; il faut souvent creuser patiemment pour retrouver ces fils perdus. À voir les visiteurs s’arrêter longuement devant telle lettre ou tel portrait jauni, je mesure combien cette mémoire commune nous concerne encore en 2025.

Pour aller plus loin dans la compréhension historique du sujet, je recommande vivement cette chronologie détaillée sur le site officiel de Casa Árabe ainsi qu’un détour par le projet España en libertad qui contextualise la mémoire démocratique contemporaine.

Les traces vivantes aujourd’hui : héritages visibles et invisibles à Córdoba

Si vous arpentez les ruelles paisibles du quartier San Basilio ou sirotez un thé à la menthe près du Guadalquivir aujourd’hui, sachez-le : certaines familles cordouanes portent encore cet héritage discret. Dans mes promenades guidées autour des patios fleuris ou lors des festivals multiculturels locaux, il m’arrive souvent d’évoquer ces destins migratoires avec des habitants qui se découvrent cousins éloignés…

Ce pan méconnu enrichit notre identité andalouse faite d’hospitalité bigarrée et rappelle que Córdoba fut toujours carrefour plutôt que forteresse. L’ouverture récente aux récits croisés – hispano-maghrébins notamment – nourrit cette dynamique vibrante que j’aime tant partager avec vous ici.

"Chaque objet exposé raconte une résistance ordinaire", m’a confié Valbuena lors du vernissage. Et c’est là toute la magie de cette exposition : elle rend justice aux détails apparemment anodins mais porteurs de dignité durable.

Conseils pratiques pour découvrir l’exposition autrement

  • Prévoyez au moins deux heures sur place : chaque salle regorge de micro-récits qu’il serait dommage de survoler trop vite !
  • Osez discuter avec les médiateurs culturels présents : certains sont descendants directs d’exilés et partagent volontiers leur histoire familiale.
  • Pour prolonger votre expérience maghrébine à Córdoba : faites escale dans un salon de thé traditionnel ou explorez les librairies arabophones du centre historique (notamment rue Claudio Marcelo).
  • La programmation culturelle inclut régulièrement projections-débats et ateliers pour enfants autour du thème migratoire ; renseignez-vous auprès du guichet principal.
  • L’exposition est ouverte jusqu’au 24 octobre : idéal pour combiner visite culturelle et flânerie automnale sous le doux soleil andalou !

Pour préparer votre venue ou approfondir vos recherches historiques : consultez la page dédiée sur Casa Árabe (actualisée en temps réel).

Le coin des questions – Questions fréquentes

Quels objets marquants trouve-t-on dans l’exposition ?

Outre les photographies bouleversantes, on découvre lettres originales envoyées depuis le camp d’Oran, jouets artisanaux fabriqués par les enfants réfugiés ou encore outils ayant appartenu à des artisans exilés. Chacun révèle une histoire singulière — bien loin des généralités habituelles !

Pourquoi cet exil vers le Maghreb reste-t-il si peu connu ?

La majorité des témoignages sont restés dans le cercle familial pendant plusieurs décennies. Ce silence s’explique par le traumatisme vécu mais aussi par une visibilité publique moindre comparée à celle donnée aux exilés partis vers la France ou l’Amérique latine.

Peut-on visiter librement la Casa Árabe avec des enfants ?

Oui ! L’espace est accueillant pour tous publics ; certaines animations pédagogiques facilitent même la découverte en famille dès le jeune âge.

Photo by omar cheikh rouhou on Unsplash

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