Cordoue républicaine : sur les traces d’Ardor, la revue oubliée qui a allumé Cántico

Mujer joven leyendo una antigua revista literaria en una cafetería luminosa de estilo andaluz.

TL;DR

  • 📚 Une Cordoue moderne et républicaine révélée par une minuscule revue poétique
  • 🔥 Ardor, revue oubliée, comme étincelle secrète du futur Groupe Cántico
  • 🧭 Un itinéraire sensible pour ressentir aujourd’hui cette mémoire littéraire dans les rues de Cordoue

Et si la Cordoue républicaine ne se cachait pas dans les archives, mais dans les cafés, les imprimeries et les voix d’une revue minuscule appelée Ardor ? Plongez dans cette ville moderne invisible.

Sous le soleil andalou, Cordoue révèle souvent ses trésors les plus célèbres : la Mezquita, les patios, l’Alcázar. Mais derrière les façades blanches, une autre ville sommeille encore, faite de revues littéraires, de cafés enfumés et de discussions enfiévrées.

Dans cette Cordoue républicaine des années 1930 est née Ardor, une revue minuscule qui n’a publié qu’un seul numéro… et qui pourtant a préparé le terrain au futur Groupe Cántico. Une histoire presque invisible, mais que l’on peut encore sentir en flânant dans le centre historique.

Cordoue, printemps 1936 : une ville en ébullition silencieuse

Imaginez Cordoue au printemps 1936. Une ville de un peu plus de 100 000 habitants, provinciale en apparence, mais traversée par les mêmes courants que Madrid ou Séville : République, tensions politiques, et surtout, une soif de modernité culturelle.

Depuis le Manifiesto a la Nación de 1917, lancé ici même, l’idée circulait que « l’Espagne a besoin d’hommes nouveaux qui apportent des normes nouvelles ». Vingt ans plus tard, ces « hommes nouveaux » sont souvent… des instituteurs. La plupart des jeunes intellectuels cordouans ont étudié le Magistère : c’est le cas de Juan Bernier, Augusto Moya de Mena ou Antonio Ortiz Villatoro. Enseigner, à l’époque, c’est aussi ouvrir des fenêtres sur le monde.

Dans les rues que vous traversez peut‑être aujourd’hui sans y penser – Gondomar, les alentours de Tendillas – on se retrouvait alors pour discuter de Luis Cernuda, de Picasso, des avant‑gardes européennes. Au restaurant Bruzo, disparu depuis, on organisait une Hora Literaria : chacun préparait une conférence, un débat. On parlait d’art moderne à Cordoue alors que, ailleurs, on parlait surtout de politique.

Je me souviens de la première fois où j’ai lu le nom de ce restaurant dans un vieux programme : je marchais justement dans la calle Gondomar, au milieu des vitrines et du bruit des bus. Pendant quelques secondes, la rue s’est dédoublée dans ma tête : 1936 d’un côté, 2024 de l’autre.

« Cordoue n’est pas seulement un décor historique, c’est un palimpseste de conversations oubliées. »

Ardor, une minuscule revue pour une ambition immense

C’est dans ce climat qu’un petit groupe décide de créer une revue littéraire qui ne se plierait ni aux partis, ni aux consignes politiques, mais à un seul critère : l’exigence esthétique. Ils l’appellent Ardor – comme une promesse, presque une prémonition.

Le projet est ambitieux : une revue trimestrielle, ouverte aux vanguardias espagnoles. Le premier numéro – qui sera aussi le dernier – rassemble des signatures impressionnantes pour une ville périphérique : Juan Ramón Jiménez, Emilio Prados, Concha Méndez, Rafael Laffón… À Cordoue, on lit et on publie les mêmes auteurs qu’à Séville, Cadix ou Madrid.

L’impression est confiée à la Imprenta Luque, liée à la Librería Luque, toujours active aujourd’hui. Si vous poussez sa porte, rue Jesús y María, vous entrez sans le savoir dans un des rares lieux encore vivants de cette histoire. À l’époque déjà, on pouvait s’y asseoir pour lire sans obligation d’acheter : un luxe discret dans une ville modeste.

Selon l’artiste et commissaire José María Báez, fin connaisseur de cette période, Ardor voulait inscrire Cordoue dans le réseau des revues d’avant‑garde comme Isla à Cadix, Mediodía à Séville ou Gallo à Grenade. Dans les faits, elle l’a fait… mais seulement pendant quelques semaines.

Comme le rappelle un article de Cordópolis, supplément local d’elDiario.es, ce seul numéro est aujourd’hui considéré par plusieurs spécialistes comme le germe lointain du Groupe Cántico. Une sorte de brouillon incandescent de la poésie cordouane de l’après‑guerre.

La guerre civile, le silence… puis la braise de Cántico

Juillet 1936. Le coup d’État militaire éclate. À Cordoue, la répression est brutale, et les enseignants et intellectuels sont particulièrement surveillés. Le projet Ardor s’arrête net.

Les destins de ses animateurs se brisent et se dispersent :

  • Juan Ugart, moteur de la revue, s’engage dans l’armée franquiste et meurt à la bataille de l’Èbre en 1938.
  • Augusto Moya de Mena est suspendu de son poste de professeur et contraint à l’exil intérieur.
  • Le vénézuélien Rafael Olivares Figueroa, figure clé, finit par repartir en Amérique latine.

Tous payent, d’une façon ou d’une autre, ce court moment de liberté intellectuelle. Ardor disparaît, puis tombe dans l’oubli jusqu’à sa réédition en fac‑similé par les éditions Renacimiento en 1983.

Pourtant, quelque chose survit. Le plus jeune du groupe, Juan Bernier, devient le trait d’union avec une nouvelle génération de poètes cordouans : Ricardo Molina, Pablo García Baena, Julio Aumente, Mario López, Ginés Liébana… Ensemble, ils créeront la revue Cántico dans l’Espagne franquiste.

Là où Ardor était politiquement hétérogène (républicains, catholiques, socialistes, falangistes), Cántico adopte un horizon idéologique presque silencieux, étouffé par la dictature. Sa force se déplace vers l’esthétique : néobaroque, sensualité, classicisme, parfois homosexualité assumée entre les lignes. Ce décalage explique pourquoi on a longtemps cru à une rupture nette entre le modernisme et Cántico.

Mais l’existence d’Ardor le dément : la modernité cordouane n’apparaît pas de nulle part, elle naît de continuités fragiles, de revues éphémères, de manuscrits sauvés par des mères et des bibliothécaires.

Ressentir aujourd’hui cette Cordoue moderne et invisible

Quand on visite Cordoue aujourd’hui, on ne voit aucun « musée d’Ardor ». Et c’est peut‑être mieux ainsi : cette histoire s’attrape en filigrane, au détour d’une librairie, d’une plaque de rue, d’une salle d’expo.

Voici comment je conseille souvent de goûter cette mémoire littéraire pendant un séjour :

  1. Commencez autour de Tendillas et de la calle Gondomar. Imaginez les tables du restaurant Bruzo là où s’alignent aujourd’hui boutiques et terrasses. L’heure idéale ? En fin d’après‑midi, quand la lumière dore les façades.
  2. Entrez à la Librería Luque. Demandez s’ils ont quelque chose sur le Groupe Cántico ou sur la Cordoue républicaine. Parfois, les libraires sortent des trésors inattendus.
  3. Faites un détour par une exposition. Le Centre d’Art Rafael Botí ou les salles d’expo de la Diputación accueillent régulièrement des projets sur le XXe siècle cordouan.
  4. Terminez dans un café tranquille, par exemple sur le boulevard Gran Capitán. Sortez un livre de poésie de Cántico, ou simplement vos notes de voyage, et regardez la ville passer.

Selon l’Office du Tourisme de Cordoue, la ville est surtout connue pour ses plus de 300 patios fleuris et son centre historique inscrit à l’UNESCO. Mais derrière ces images de carte postale se cache aussi une capitale discrète de la poésie espagnole du XXe siècle.

En marchant dans ces rues, je pense souvent à ce titre, Ardor. Ardor pour la beauté, pour la langue, pour un projet commun malgré les divergences politiques. La guerre a étouffé la flamme, mais pas entièrement : une braise a couvé, assez forte pour rallumer la chandelle de Cántico.

Au fond, Cordoue se vit plus qu’elle ne se visite. Et parfois, ce que l’on ressent n’a pas de panneau explicatif : juste une impression de profondeur, comme si la ville vous soufflait à l’oreille des histoires que les guides n’ont pas encore racontées.

Et vous, auriez‑vous envie d’un parcours entièrement dédié à la Cordoue littéraire, de la République à Cántico ? Dites‑le‑nous en commentaire ou partagez vos découvertes sur Instagram avec le hashtag #EscapadeaCordoue.

Questions fréquentes

Qui était le Groupe Cántico à Cordoue ?

Le Groupe Cántico était un cercle de poètes et d’artistes cordouans actif surtout dans les années 40 et 50. Autour de Ricardo Molina et Pablo García Baena, ils ont défendu une poésie très travaillée, sensuelle et néobaroque. Leur revue, Cántico, a fait de Cordoue un foyer poétique important malgré la censure franquiste.

Peut‑on visiter des lieux liés à la revue Ardor ?

Il n’existe pas de musée ni de circuit officiel consacré à Ardor. En revanche, certains lieux de l’époque subsistent, comme la Librería Luque, héritière de l’imprimerie qui a publié la revue. Les rues du centre (Gondomar, Tendillas, Gran Capitán) conservent aussi l’ambiance de ces anciennes tertulias littéraires.

Où en savoir plus sur la Cordoue républicaine et ses revues ?

Pour aller plus loin, vous pouvez consulter les bibliothèques publiques de Cordoue ou l’Archivo Municipal, qui conservent journaux et revues de l’époque. Des ouvrages spécialisés et des articles de médias locaux comme Cordópolis reviennent régulièrement sur Ardor et Cántico. Lors de votre séjour, jetez aussi un œil aux expositions temporaires consacrées au XXe siècle andalou.

Cette découverte intéressera‑t‑elle si je ne lis pas de poésie ?

Oui, car il s’agit avant tout de comprendre une autre facette de Cordoue. Même sans lire de poèmes, suivre ces traces vous permet de voir autrement des rues où vous passeriez peut‑être sans les remarquer. C’est une façon de voyager plus lentement, en laissant la ville vous raconter ses histoires enfouies.

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