Cordoue électronique : sur les traces de Gabi Delgado et du projet secret Neue Weltumfassende Resistance

Hombre joven escucha un vinilo con auriculares junto a un tocadiscos y una ventana, evocando la escena musical de Córdoba.

TL;DR

  • 🎧 Cordoue se révèle en bande-son électronique avec l’ombre de Gabi Delgado
  • 🏙️ Un projet expérimental relie Berlin, la France et les nuits andalouses
  • 🚶 Une balade dans Cordoue pour écouter la ville autrement, casque sur les oreilles

Et si Cordoue se découvrait aussi en pulsations électroniques ? Entre patios fleuris et héritage punk, l’album inédit de Gabi Delgado enregistré ici révèle une autre face de la ville.

Saviez-vous qu’une partie de l’héritage de l’électro allemande s’est enregistrée… à Cordoue ? Derrière les murs chauffés au soleil, loin des clichés de cartes postales, la ville a servi de laboratoire à l’un des artistes les plus radicaux de la scène européenne : Gabi Delgado, cofondateur de DAF.

Avec la sortie du disque inédit « Neue Weltumfassende Resistance », fruit d’enregistrements réalisés notamment à Cordoue, on découvre une ville traversée par des pulsations électroniques, des souvenirs d’exil et une forme de résistance artistique profondément andalouse.

Qui est Gabi Delgado, le Cordouan qui a électrisé l’Europe ?

Avant d’être une légende de l’électro allemande, Gabi Delgado est un enfant de Cordoue. Sa famille quitte l’Espagne franquiste pour l’Allemagne, où il grandit, entre rupture et nostalgie. C’est là qu’il fonde en 1978 Deutsch Amerikanische Freundschaft (DAF) avec Robert Görl, groupe pionnier de l’EBM (electronic body music), aux rythmes secs et aux voix martelées qui influenceront des générations de musiciens.

Avec DAF, il enregistre sept albums, puis développe des projets parallèles comme Delkom ou DAF/DOS, sans oublier plusieurs disques en solo. Sa trajectoire est celle d’un artiste qui n’a jamais cessé d’expérimenter, de casser les formats, de faire dialoguer la sueur des clubs avec une poésie parfois brutale. Lorsqu’il disparaît en 2020, en plein regain de reconnaissance, l’Allemagne lui consacre de nombreux hommages – rien qu’en 2025, trois albums de reprises de ses chansons y voient le jour.

Et au milieu de cette histoire très berlinoise, il y a Cordoue. La ville où il est né, où il revient régulièrement, presque comme on revient à une cicatrice lumineuse. Les séances d’enregistrement réalisées ici, en 2014 et 2018, prennent alors une autre dimension : ce ne sont pas seulement des sessions de studio, mais un retour aux racines, sous le ciel andalou.

Neue Weltumfassende Resistance : un laboratoire entre Cordoue, Berlin et la France

En 2004, Gabi Delgado rencontre le musicien, performer et cinéaste français Marc Hurtado, moitié du duo expérimental Étant Donnés. De cette rencontre naît Neue Weltumfassende Resistance (NWR), un projet pensé comme un laboratoire sans règles, à la croisée de l’Allemagne, de l’Espagne et de la France.

Parfois, Hurtado compose la musique et Delgado pose sa voix. D’autres fois, c’est l’inverse. Parfois encore, tout se mélange. Eux-mêmes décrivent ce travail comme « un voyage cinématographique à 360 degrés », entre sons, poésie et performance. De 2004 à 2018, ils accumulent des heures de matière sonore, se retrouvent à Berlin, puis à Cordoue en 2014 et 2018, et jouent dans des festivals aussi pointus qu’IDEAL (Nantes) ou LUFF (Lausanne).

Le disque qui sort aujourd’hui, Neue Weltumfassende Resistance, publié en vinyle par le label new-yorkais Play Loud! Productions, est le premier témoignage discographique de ce projet. Tiré à seulement 300 exemplaires, il rassemble une partie de ce corpus, dont des enregistrements cordouans auxquels Delgado tenait particulièrement.

Ce que revendiquaient les deux artistes, ce n’était pas un style, mais une attitude : une « résistance artistique et spirituelle ». Résistance aux formats, aux frontières, aux étiquettes nationales. Résistance aussi à l’idée que Cordoue ne serait qu’une carte postale figée, entre Mezquita, patios et chevaux andalous.

Quand j’imagine ces sessions cordouanes, je pense à une pièce aux volets tirés en plein été, quelque part dans le centre historique : dehors, la cloche de la Mezquita sonne, la lumière explose sur les murs blancs ; dedans, des nappes synthétiques, une voix grave, des cut-ups de mots en allemand, espagnol, français. Deux mondes se télescopent.

Écouter Cordoue autrement : une ville entre patios fleuris et sons industriels

Cordoue, on la visite souvent avec les yeux. On la photographie dans la Judería, on l’admire depuis le pont romain, on la respire sous la treille d’un patio rempli de géraniums. Mais on peut aussi la découvrir avec les oreilles, et c’est là que Gabi Delgado ouvre une porte inattendue.

Imaginez : vous sortez de la Mezquita-Catedral, vous longez le Guadalquivir, casque sur les oreilles. Au lieu du flamenco ou de la guitare classique, vous lancez une vieille piste de DAF ou, demain, cet album de Neue Weltumfassende Resistance. Soudain, les arches, les remparts, les palmiers prennent une autre texture. Les rythmes secs répondent aux pas sur les pavés, les basses se mêlent au grondement lointain des voitures sur le pont.

Selon l’UNESCO, le centre historique de Cordoue est classé au patrimoine mondial depuis 1984. On vient y chercher le croisement des cultures musulmane, chrétienne et juive. Mais à quelques rues, vers la rive moderne du fleuve, le Centro de Creación Contemporánea de Andalucía (C3A) rappelle que la ville regarde aussi vers l’avenir, vers la vidéo, le son, la performance.

« Parfois, j’ai l’impression que Cordoue a deux bandes-son : l’une officielle, de guitares et de processions, et l’autre, souterraine, faite de machines, de cris poétiques et de silences. » — notes de mon carnet

Un soir, j’ai guidé un petit groupe de Berlinois fans de DAF. Après la visite classique, je les ai emmenés boire un verre près de la plaza de la Corredera. Dans un bar discret, un DJ bricolait un set électronique entre techno minimale et bruitages. Ils m’ont dit en riant : « Voilà, ça, c’est notre Cordoue. » C’est exactement ce que cet album permet : superposer une Cordoue visible et une Cordoue sonore, plus secrète.

Sur les traces sonores de Gabi à Cordoue : mini-itinéraire pour curieux

On ne sait pas dans quel studio précis Gabi Delgado a enregistré à Cordoue, et c’est peut-être mieux ainsi : cela laisse de la place à l’imagination. Mais on peut composer une petite balade pour sentir la ville comme un vaste studio à ciel ouvert.

  1. Les rives du Guadalquivir au crépuscule
    Marchez entre le pont romain et les passerelles modernes, quand la lumière tombe et que les cigales se taisent peu à peu. Les nappes électroniques se marient étonnamment bien avec le reflet doré des pierres dans l’eau.

  2. La Judería en fin de soirée
    Revenez dans le quartier juif quand les groupes touristiques sont partis. Les ruelles deviennent presque silencieuses ; avec un album expérimental dans les oreilles, chaque pas résonne comme un écho du passé.

  3. Le pont romain de nuit, face à la Mezquita illuminée
    Placez-vous au milieu du pont, regardez la ville qui brille. Les rythmes plus industriels, chers à DAF, contrastent avec l’image « carte postale » et rappellent que Cordoue est aussi une ville bien vivante, avec ses usines en périphérie et ses quartiers populaires.

  4. Art contemporain et petits bars à concerts
    Traversez vers le C3A pour une exposition, puis revenez vers le centre en vous arrêtant dans les bars autour de la Corredera ou de la plaza del Potro. Renseignez-vous sur la programmation : plusieurs lieux accueillent des concerts électro, rock expérimental ou DJ sets, surtout le week-end.

Suivre ces étapes, ce n’est pas « retrouver » Gabi à tout prix, mais plutôt se mettre dans son sillage : celui d’un artiste qui a fait dialoguer Berlin et Cordoue, les clubs enfumés et les patios fleuris, la rage punk et la tendresse andalouse.

Au fond, ce nouveau disque est autant un document musical qu’un document de ville. Il nous rappelle que Cordoue n’est pas figée dans son passé califal : elle appartient aussi aux exilés qui reviennent, aux collaborations improbables, aux nuits où l’on enregistre des voix pendant que la ville dort.

Quand j’emmène des visiteurs français à Cordoue, j’aime leur demander : « Si cette ville était un son, ce serait quoi pour vous ? » Avec Neue Weltumfassende Resistance, une réponse possible s’ajoute à la playlist : un grondement électronique, un poème murmurant trois langues, un battement de cœur un peu désaxé.

Et vous, avez-vous déjà associé une bande-son à vos voyages ? La prochaine fois que vous viendrez à Cordoue, glissez un peu de Gabi Delgado dans vos écouteurs… puis racontez-moi votre expérience.

Questions fréquentes

Qui était Gabi Delgado en quelques mots ?

Gabi Delgado était un musicien né à Cordoue et grandi en Allemagne, figure clé de l’électro européenne. Cofondateur du groupe DAF, il a marqué la scène EBM par son énergie punk et ses textes radicaux. Il a également mené de nombreux projets parallèles avant son décès en 2020.

Qu’est-ce que le projet Neue Weltumfassende Resistance ?

Neue Weltumfassende Resistance est un projet expérimental créé en 2004 par Gabi Delgado et l’artiste français Marc Hurtado. Entre sons, poésie et performance, il se veut un laboratoire de liberté totale, sans frontières ni règles fixes. Le disque récemment publié en est le premier témoignage officiel.

Où peut-on trouver l’album de Neue Weltumfassende Resistance ?

L’album est édité en vinyle par le label indépendant Play Loud! Productions, en tirage limité à 300 exemplaires. Pour espérer en dénicher un, le mieux est de surveiller les boutiques de disques spécialisés, les sites de vente de vinyles et la page du label. N’hésitez pas à demander aussi à votre disquaire habituel s’il peut le commander.

Cordoue a-t-elle une scène de musique électronique ?

Oui, même si elle est plus discrète que celle de grandes villes comme Séville ou Madrid. On trouve à Cordoue une petite scène de DJ, de producteurs et de collectifs qui organisent des soirées dans des bars, salles indépendantes et parfois en plein air. Si vous aimez explorer, suivez les affiches dans le centre historique et les réseaux sociaux des lieux culturels locaux : les découvertes peuvent être surprenantes.

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