Córdoba, ville à cicatrices : archéologie vs modernité ?

a clock is on the side of a building

Excavations surprises sous les fondations, tramway fauchant un quartier romain… À Cordoue, chaque pelleteuse réveille mille ans d’histoire. Je vous emmène dans les coulisses où archéologues et architectes négocient le futur sans effacer le passé.

Quand la pelle remue l’âme de la ville

Je me souviens encore de ce matin de juin 2018 où, croissant en main, j’ai vu naître le sol de Cordoue comme une seconde peau. Une amie archéologue m’avait glissé : "Viens voir, on a trouvé un truc". Rue San Pedro, derrière l’ancien convento de los Capuchinos, une dalle de marbre ornée d’une croix wisigothique émergeait sous 40 cm de terre battue. En une heure, la foule s’était formée : ouvriers en casque jaune, voisins en tablier, enfants suspendus aux barrières. Tout le monde avait compris que nous touchions quelque chose de plus vaste qu’un bout de pierre.

Cette scène se répète chaque semaine dans notre ville superposée. Depuis l’époque romaine jusqu’aux promesses immobilières de 2025, Cordoue n’a cessé d’empiler strates et silences. Mais comment conjuguer frénésie bâtisseuse et mémoire millénaire sans faire saigner la cité ?

Le drame silencieux de Cercadilla

Ana Zamorano prononce encore le mot "Cercadilla" avec un pincement au creux des lèvres. Elle était jeune archéologue fraîchement diplômée quand les pelleteuses ont commencé à détruire ce vaste palais omeyyade pour tracer l’emprise du futur viaduc ferroviaire. "Ce fut notre cœur brisé collectif", me confie-t-elle autour d’un café torréfié dans la biblioteca del Colegio de Arquitectos.

En 1992, l’Andalousie vivait l’euphorie Expo ; moderniser coûte que coûte semblait légitime. Pourtant les fouilles avaient révélé des thermes monumentaux, des mosaïques figuratives et même une inscription mentionnant le prince Omeyyade al-Rahman III. Rien n’a suffi : la parcelle a été nivelée en trois mois pour éviter les retards de chantier.

Aujourd’hui circulent deux photos en noir-et-blanc dans les cercles patrimoniaux : l’une montre des colonnes ioniques dressées fièrement avant leur démolition ; l’autre capture Ana agenouillée sur le sol nu, mains crispées sur un tesson qu’elle ne peut sauver. Cette image est entrée dans la mémoire orale cordouane comme un rappel : ici, progrès et mémoire peuvent basculer du jour au lendemain.

Architectes & archéologues : mariage forcé ou romance tardive ?

Curro Crespo se gratte la barbe grisonnante quand je lui demande s’il existe encore des tensions entre ses plans et les pioches des archéologues :

"On est condamnés à s’entendre ; mais surtout à partager la même angoisse climatique", dit-il en désignant le plancher chauffant mal isolé du bâtiment.

Dans son bureau d’Amasce — une coopérative hébergée dans l’Espacio Plástico d’Almogávares — il roule sur son écran satellite des cartographies urbaines jusqu’en 2100. Selon les projections Aemet que nous avons intégrées (source : Agencia Estatal de Meteorología), Cordoue connaîtra 73 nuits tropicales contre 5 actuellement et plus de 65 jours > 40 °C fin siècle.

Dans cette fournaise annoncée, le sous-sol devient refuge. Lorsqu’un immeuble doit être réhabilité (80 % du parc date des années 1950-1980), c’est tout un système de caves islamiques ou canalisations romaines qui peut servir de tampon thermique si on choisit d’intégrer plutôt que boucher.

Le protocole actuel est clair :

  • Diagnostic archéologique systématique avant tout permis.
  • Présence obligatoire d’un·e archéologue durant terrassement si secteur sensible.
  • Obligation pour le maître d’ouvrage soit :
    – intégrer physiquement les vestiges (cloison vitrée par exemple) ;
    – réaliser une fougie complète puis reboucher avec signalétique augmentée (QR codes).

Et pourtant le promoteur reste nerveux. Chaque journée supplémentaire coûte entre 2 000 € et 8 000 € suivant la taille du chantier.

Supermanzanas oubliées et anneau vert fragile

En 2014 l’Agència d’Ecologia Urbana de Barcelona proposa à Cordoue un plan audacieux : transformer six îlots du développement franquiste en supermanzanas climatiques inspirées du modèle barcelonais — circulation calme intérieure, espaces partagés arborés au centre). Le dossier a dormi cinq ans dans un tiroir municipal avant d’être classé « non prioritaire » faute d’un Plan Especial al alcance presupuestario.

Aujourd’hui la mairie brandit l’Anillo Verde como horizon unique : trente-deux kilomètres de boucle cyclable agrémentés de nouvelles zones humides destinées à réguler la chaleur urbaine. Prometteur ? Curro tempère :

"Le plan date des années 90 ! Il n’a pas prévu les pics thermiques actuels ni l’afflux massif touristique post-pandémie".

Prenez l’exemple du barrio Vistafría sud-est : là où devaient pousser vergers citricoles et potagers collectifs se pressent déjà tractopelles prêtes à densifier avec quatre étages supplémentaires autorisés par une modification mineure du PGOU votée en février dernier.

Mes trois conseils pour visiter Cordoue comme une exploratrice du temps

1 Emportez une lampe frontale. Plusieurs visites guidées nocturnes (Medina Azahara exclusivement sur réservation via Ticketmaster Cultura) permettent d’apercevoir reliefs omeyyades que le soleil fait disparaître sous blancheur crue.
2 Prêtez attention aux vitrines jaunes. Ces plaques signalent un vestige intégré visible depuis rue San Fernando ou plaza del Potro ; elles cachent souvents cisterne romaine ou fondation mauresque accessible gratuitement.
3 Louez un vélo-grab (station Plaza Corredera) et filez vers Camino Viejo del Sotillo juste après Alcázar pour longer les anciennes acequias ; vous longerez pistes cyclables qui cheminent littéralement sur caldarium antique conservés sous dalles translucides — moment rare où passé respire encore sous vos pneus !

Questions fréquentes ### Peut-on observer une fouille soi-même ? Oui mais toujours encadrée : le musée arqueológico propose des sessions "Excava-tú" réservables deux semaines à l’avance (espagnol essentiel). ### Les sites sont-ils accessibles PMR ? Presque tous sont équipés via ascenseurs panoramiques depuis janvier 2025 (sauf zone nord Medina Azahara restée volontairement rustique). ### Quel budget faut-il pour voir plusieurs vestiges ? Le billet combinado Junta-Cordoba (22 €) donne accès à Medina Azahara + Palacio+ Torre-nuit incluant transport bus express depuis centre-ville.

Photo by Ivan Lopatin on Unsplash

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