Ces regards cachés au C3A Cordoue…

Ana Segovia, autor de la exposición 'Me duelen los ojos de mirar sin verte'. / Manuel Murillo

L'expo Ana Segovia au C3A Cordoue ? Une claque ! Oubliez les clichés, elle nous montre ceux qui regardent. Fascinant, vraiment.

Bonjour les amis de Cordoue (et d’ailleurs) !

Alors, laissez-moi vous raconter ma dernière trouvaille, celle qui m’a vraiment remué l’âme et les yeux ici, dans ma ville d’adoption. Le Centre de Création Contemporaine, ce cher C3A que j’aime tant pour ses audaces, accueille une exposition qui, croyez-moi, sort vraiment des sentiers battus. Il s’agit de l’œuvre de l’artiste mexicaine Ana Segovia, intitulée Me duelen los ojos de mirar sin verte (Mes yeux me font mal de regarder sans te voir). Dès le titre, on sent qu’il y a quelque chose de différent, de voilé. Et c’est exactement l’essence de cette exposition.

Segovia ne nous montre pas ce à quoi on s’attend. Pas de portraits frontaux, pas de scènes éclatantes de flamenco traditionnel comme on pourrait l’imaginer en Andalousie. Non, elle tourne la caméra, ou plutôt le pinceau, vers nous, ou du moins vers ceux qui regardent. C’est une plongée fascinante dans le rôle du spectateur, de celui qui est habituellement passif mais que l’artiste choisit de mettre en pleine lumière. L’exposition, inspirée par l’icône Lola Flores et le cinéma espagnol d’antan, notamment le film Pena, penita, pena, utilise ces références culturelles non pas pour les célébrer directement, mais pour questionner l’acte de regarder lui-même, surtout dans un contexte aussi chargé d’émotion et de performance que le folklore andalou.

Ces spectateurs que l’on ne voit jamais

Ce qui frappe d’abord en entrant dans la salle T4 du C3A, c’est cette galerie de personnages mystérieux. On ne voit jamais leurs visages. Ana Segovia les peint de dos, ou se concentre sur un détail – une nuque tendue, une oreille attentive, des mains jointes, parfois juste des pieds dans des chaussures qui racontent déjà une histoire. C’est un choix radical qui force le visiteur à s’interroger : Qui sont ces gens ? Qu’est-ce qu’ils regardent avec tant d’intensité ? En masquant l’identité individuelle, Segovia universalise l’expérience du regard. Elle nous rappelle que derrière chaque performance, chaque spectacle, il y a des milliers de regards, des émotions silencieuses, une réception qui façonne autant l’événement que l’artiste sur scène. Dans le contexte andalou, où le flamenco et le folklore sont si viscéraux, montrer l’audience, c’est parler de l’âme qui reçoit, de la communion invisible qui se crée.

J’ai passé de longues minutes devant certains tableaux, essayant d’imaginer les visages cachés, les pensées derrière ces dos immobiles. C’est une expérience presque méditative, qui inverse complètement la dynamique habituelle de l’art du portrait ou de la scène de genre. Ici, le sujet, c’est l’acte de réception lui-même. C’est une observation fine et pleine d’empathie pour ceux qui font vivre la culture par leur simple présence attentive. Cela m’a particulièrement touché, moi qui observe depuis des années les foules se presser pour admirer les trésors de Cordoue. Il y a une beauté discrète dans ces postures d’écoute et d’admiration que Segovia capture avec brio.

Lola Flores, l’absence qui en dit long

L’inspiration par Lola Flores et Pena, penita, pena est fascinante, précisément parce que La Faraona est absente des toiles. Elle est le point focal invisible que tous ces regards convergent. Lola Flores, c’est l’icône par excellence de la copla et du flamenco, un mythe en Espagne. En ne la montrant pas, Ana Segovia met en évidence le culte qui l’entoure, l’aura qu’elle projette et qui aimante les regards. C’est une manière intelligente de parler de l’idole à travers ses admirateurs, de la légende à travers ceux qui la font vivre dans leur imaginaire.

Les couleurs utilisées par Segovia, bien que s’inspirant d’un film en noir et blanc, sont incroyablement vibrantes – ocres, roses acides, jaunes intenses. C’est un choix délibéré de ne pas simplement coloriser les images sources, mais de donner une couleur réelle, ou du moins une couleur ressentie, à ces personnages et à l’atmosphère. Cela ajoute une couche de subjectivité, comme si l’artiste peignait l’émotion, le souvenir ou l’imagination des spectateurs plutôt que la simple réalité filmique. Cette utilisation audacieuse de la couleur contribue à l’atmosphère à la fois familière (les postures) et étrangement onirique (les teintes) de l’exposition. C’est un contraste saisissant qui force le regard, tout comme le titre l’évoque.

Du baroque au voyeurisme moderne

Ana Segovia a passé du temps au Museo del Prado à Madrid, s’imprégnant de l’art baroque espagnol. On ressent cette influence dans ses clairs-obscurs, dans la dramaturgie de certaines compositions, et dans cette attention portée aux corps, aux tissus, aux qualités tactiles du réel, même si le visage est masqué. Le baroque excellait à capturer les émotions intenses et les moments de révélation ou de dissimulation.

Segovia transpose cette tradition dans un cadre contemporain, y ajoutant une dimension réflexive sur l’acte de voir. L’artiste parle de placer le spectateur de l’exposition dans une position de « voyeur du voyeur ». La scénographie de la salle, avec ses rideaux, ses angles, invite à se pencher, à chercher ce qui est caché, à adopter une posture qui imite celle des sujets peints. On se retrouve à espionner ces dos, à essayer de percer le mystère, devenant nous-mêmes des observateurs discrets, voire indiscrets. C’est un jeu subtil avec la perception, une mise en abyme du regard qui rend l’expérience de l’exposition très interactive et intellectuellement stimulante. On ne regarde pas seulement des tableaux, on participe à une chorégraphie du regard pensée par l’artiste.

Ana Segovia : un regard qui compte sur la scène internationale

Ana Segovia n’est pas une inconnue sur la scène artistique, loin de là. Née à Mexico en 1991, formée à Chicago, elle a déjà exposé internationalement et a notamment participé à la prestigieuse 60e Biennale de Venise en 2024, la même année que son arrivée à Cordoue. Sa présence ici, au C3A, est donc un événement majeur. Son travail explore souvent les notions de genre, de performance et de masculinité dans la culture populaire, notamment mexicaine et, ici, espagnole.

Cette exposition à Cordoue s’inscrit parfaitement dans sa démarche, utilisant des symboles culturels forts (Lola Flores, le public de folklore) pour décortiquer des dynamiques sociales et visuelles plus larges. Elle apporte un regard extérieur (celui de l’artiste mexicaine) et intérieur (elle s’approprie les références espagnoles) qui est d’une richesse rare. C’est le genre d’exposition qui prouve que le C3A est bien plus qu’un simple espace d’art ; c’est un lieu de dialogue et d’expérimentation qui nourrit la réflexion sur la culture contemporaine et ses racines. Pour en savoir plus sur la programmation du C3A, vous pouvez consulter leur site officiel Centro de Creación Contemporánea de Andalucía (C3A).

Expérimenter l’exposition au C3A : mes conseils

Visiter cette exposition demande un peu de temps et d’attention. Ne vous précipitez pas. Prenez le temps d’observer les détails dans les peintures, la texture de l’huile, les nuances de couleurs. Surtout, soyez attentifs à la manière dont vous vous déplacez dans l’espace. La disposition des œuvres n’est pas anodine ; elle est conçue pour guider votre regard et vous faire participer au concept de voyeurisme. Essayez de vous mettre à la place des personnages peints, d’imaginer ce qu’ils voient.

Le C3A lui-même est un lieu inspirant, avec son architecture moderne contrastant avec le patrimoine historique de Cordoue. C’est un endroit parfait pour passer quelques heures à s’immerger dans l’art contemporain après avoir exploré les ruelles de la vieille ville. L’exposition est visible jusqu’au 6 janvier 2026, ce qui laisse le temps de la découvrir ou même d’y retourner. C’est une occasion unique de voir le travail d’une artiste internationale majeure ici à Cordoue et de réfléchir d’une manière totalement nouvelle à ce que signifie regarder et être vu.

FAQ sur l’exposition Ana Segovia au C3A

Qu’est-ce qui rend cette exposition unique ?
Cette exposition est unique car elle inverse la perspective habituelle en se concentrant sur les spectateurs d’une performance, plutôt que sur les artistes. Elle utilise l’art du portrait sans jamais montrer de visage, créant une atmosphère de mystère et d’universalité.

Est-ce qu’on y voit des images de Lola Flores ou du film Pena, penita, pena ?
Non, Lola Flores et le film sont les sources d’inspiration, mais ils n’apparaissent pas directement dans les tableaux. L’exposition se concentre sur les spectateurs de ces performances, rendant hommage à l’icône par son absence et l’impact qu’elle a sur son public.

Faut-il connaître l’art baroque ou le flamenco pour apprécier l’exposition ?
Non, pas nécessairement. Bien que ces références enrichissent la compréhension, l’exposition pose des questions universelles sur le regard, l’identité et la perception qui sont accessibles à tous. L’influence baroque se voit dans la technique et la composition, ajoutant une profondeur visuelle.

Combien de temps faut-il prévoir pour la visite ?
Comptez au moins 45 minutes à une heure pour prendre le temps d’observer les œuvres et de vous imprégner de l’atmosphère. Le C3A propose aussi d’autres expositions, donc prévoyez plus si vous souhaitez explorer l’ensemble du centre.

Où se trouve le C3A et est-il facile d’accès ?
Le C3A est situé sur les rives du Guadalquivir, un peu à l’écart du centre historique mais facilement accessible à pied (environ 15-20 minutes depuis la Mezquita) ou en taxi. Son architecture moderne est un repère visible. Les informations pratiques (horaires, accès) sont disponibles sur leur site web Site officiel du C3A.

Media: Diario Córdoba – Ana Segovia, autor de la exposición ‘Me duelen los ojos de mirar sin verte’. / Manuel Murillo

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