L’arbitraire du monde de l’art et les obstacles artistiques
L’univers de l’art est souvent caractérisé par une certaine arbitraire et des contraintes qui peuvent affecter l’existence même de l’art contemporain. C’est un sujet qui m’a toujours interpellé et qui, selon moi, trouve un écho tout particulier avec la figure de Belén Mazuecos : une artiste dont la renommée n’est peut-être pas à la hauteur de son talent dans sa ville natale de Grenade. Modeste dans ses actions, elle se distingue des épisodes excessifs, voire de la débauche dialectique et des fanfaronnades étourdissantes si fréquentes dans le monde de l’art. Belén Mazuecos est une peintre de grande envergure, une remarquable dessinatrice qui a reçu les plus prestigieux prix dans sa catégorie, tels que le Prix Gregorio Prieto et le Prix pour l’art contemporain Laguna de Venecia. Elle a également réalisé des installations d’une grande qualité et pertinence. Pendant plusieurs années, elle a été chargée de la gestion de l’art à l’Université de Grenade et a réussi à faire évoluer la programmation de l’établissement en tant que principal espace d’exposition de la ville. Actuellement, une sélection de ses œuvres est exposée à l’Institut Damián Bayón de Santa Fe.
En tant que professeure à la faculté des beaux-arts, elle possède une grande capacité à motiver ses étudiants et est pour eux un modèle à suivre pour saisir les multiples intrications du processus créatif. Depuis la semaine dernière, Belén Mazuecos est également devenue professeure d’université. C’est pourquoi nous pouvons dire qu’elle est véritablement une artiste complète, dotée d’une capacité créative infinie, d’une technique sans faille, capable d’explorer les territoires les plus compliqués et de surmonter toute difficulté avec assurance et garantie d’une véritable excellence artistique. Mais surtout, Belén Mazuecos est une artiste en qui on peut toujours avoir confiance, prête à participer là où elle est sollicitée et à montrer, avec humilité, que ce n’est pas celui qui fait le plus de bruit qui est le meilleur artiste, mais celui qui exerce son art avec le plus grand talent.
Belén Mazuecos est une artiste cultivée, non pas de la culture facile, plaisante et souvent superficielle qui séduit les moins initiés, mais d’une culture qui comprend tout ce qui se passe dans le monde de l’art. Elle connaît les rouages, les enjeux et les questionnements qui régissent le domaine artistique contemporain. Elle est également consciente de l’importance des facteurs qui influencent la réalité de l’art, en particulier ceux qui détiennent le pouvoir et qui ont une grande influence sur la dynamique complexe de la profession. Directeurs de musées et de centres d’art, critiques d’art et galeristes jouent un rôle essentiel dans la définition de l’art contemporain, laissant souvent les œuvres et les artistes au second plan, au gré de leurs intérêts personnels. Depuis 2016, Belén Mazuecos travaille sur ces thématiques qu’elle a regroupées dans un projet intitulé "Genius Loci. Notes pour une ethnographie du monde de l’art". Ce projet s’inspire de l’idée de l’écosystème de l’art, une description proposée par l’historien Juan Antonio Ramírez qui met en avant le fait que la survie d’une action artistique – voire celle de l’artiste – dépend de la réussite d’autres actions artistiques dans le même milieu. Ainsi, la création artistique est souvent conditionnée par des agents extérieurs qui imposent leurs règles de façon parfois prédatrice. Belén Mazuecos fait une remarquable métaphore de ces enjeux dans son œuvre, en créant un paysage, celui de l’art, où se déploie la création. Tous les éléments qui interagissent dans ce paysage sont en quelque sorte les sauveurs du monde de l’art, les génies qui protègent les artistes et, en même temps, les manipulateurs qui tirent les ficelles pour faire fonctionner le système.
Lors de l’exposition présentée au Centre Damián Bayón de Santa Fe, Belén Mazuecos poursuit sa réflexion sur le monde de l’art et ses multiples enjeux. Ses œuvres continuent de les métaphoriser en s’inspirant de ses personnages habituels : des ours en peluche travestis, des paysages indéfinissables en noir et blanc – la technique du graphite, de l’encre et de la peinture à l’huile, ainsi que son style remarquable et affirmé de dessin – présentent un caractère irréel plus marqué. Ses personnages acquièrent des caractéristiques physiques qui transforment leur apparence et ouvrent ainsi de nouvelles perspectives de compréhension tout en insistant sur les problématiques métaphoriques de l’art. Dans cette exposition, au sein de cet espace d’exposition magnifique à Santa Fe, nous retrouvons le langage artistique particulier de Belén Mazuecos, son dessin soigné et magique, son concept artistique bien construit qui pointe du doigt de nombreux enjeux actuels de l’art avec une peinture sur laquelle elle impose son autorité. Une artiste convaincante, qui ne suit pas les modes éphémères ni les circonstances arbitraires, mais offre un langage original, un travail pictural impressionnant et une claire compréhension de l’art, nous révèle une artiste transcendantale dans cet univers où tout semble sembler se ressembler. Belén Mazuecos est une artiste à suivre de près, surtout maintenant, car nous la trouvons au sommet de sa jeunesse mûre, où son travail prend un sens nouveau et plus élevé.
