Córdoba, philanthropie et école innovante : ce que l’échec de l’école de Zuckerberg nous dit vraiment

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Pourquoi une école comme The Primary School ferme-t-elle malgré son soutien ? Découvrons ensemble ce que cela révèle sur l’innovation éducative…

Quand la philanthropie rencontre l’éducation : un rêve californien qui tourne court

Depuis Cordoue, je vous invite à un détour inattendu vers Palo Alto. Ce n’est pas par hasard : ici aussi, on aime parler d’innovation et d’éducation, surtout lorsqu’elles se croisent dans des projets qui font rêver… ou s’essoufflent. The Primary School, lancée en 2016 par Mark Zuckerberg et Priscilla Chan, voulait bousculer les codes du système éducatif américain. Pourquoi une telle aventure s’arrête-t-elle si brutalement ? Qu’en retenir pour nos propres aspirations sociales et éducatives – à Cordoue ou ailleurs ?

En parcourant les rues historiques de la Judería, j’ai souvent réfléchi à ces initiatives ambitieuses portées par des fortunes privées. Leur souffle peut être immense — mais leur fragilité aussi. L’histoire de The Primary School n’est pas qu’un fait divers californien : elle interroge notre rapport à la philanthropie, à l’équité sociale, et à la vraie durabilité des innovations scolaires.

Une école pas comme les autres : promesses et réalités

Dès ses débuts, The Primary School faisait figure d’exception :

  • Accueil prioritaire aux familles défavorisées (essentiellement latino-américaines)
  • Personnel bilingue pour casser les barrières linguistiques
  • Horaires adaptés pour aider les parents travailleurs
  • Soins dentaires gratuits pour les enfants (!)
  • Soutien logistique pour le logement

Impossible de ne pas admirer cette approche holistique. La démarche me rappelle certains projets pilotes chez nous en Andalousie où l’on tente d’intégrer le social au scolaire.

Pourtant, dès que j’ai lu entre les lignes — retours des familles locales, échos dans le San Francisco Chronicle — j’ai senti poindre un malaise : « on avait tout ici, maintenant il faut recommencer à zéro », témoignait une mère. Malgré toute sa bonne volonté affichée, l’école était portée par des fonds privés… et sans soutien public massif ni engagement structurel.

L’argent privé face à la réalité sociale : limites d’un modèle « start-up »

Ce qui a frappé tout observateur averti (et curieux comme moi), c’est la vitesse avec laquelle un projet aussi ambitieux s’effondre dès que le financement privé vacille. Chiffres parlants : donations tombées de 8 millions $ (2022) à 3,7 millions $ (2023), alors que le coût annuel atteignait 12 millions $. Dans nos rues cordouanes où tant d’associations vivent sur le fil du rasoir financier, je vois là un miroir de nos propres défis — mais grossi mille fois par la taille des ambitions.

En filigrane : une méfiance vis-à-vis du modèle start-up appliqué au social. J’ai souvent croisé ce débat autour des nouveaux mécènes – ici comme ailleurs. Quand tout dépend d’une poignée de donateurs vedettes (et leurs humeurs stratégiques…), le rêve peut s’arrêter net.

L’école n’était finalement pas un bien commun géré collectivement mais plutôt une aventure privée avec expiration programmée – faute de relais institutionnel solide.

Diversité et inclusion : promesses non tenues ?

La fermeture tombe alors même que le climat politique US évolue sur ces thèmes dits « DEI » (diversity equity inclusion). Ironiquement, la Chan Zuckerberg Initiative préfère aujourd’hui miser sur la biomédecine et l’intelligence artificielle… Un glissement qui parle autant qu’un discours officiel !

Dans mon expérience à Cordoue auprès des écoles accueillant des familles migrantes ou défavorisées, j’ai vu combien l’inclusion demande patience et implication durable… bien loin du rythme effréné des start-ups tech. On ne répare pas des inégalités structurelles avec quelques années d’expérimentation — aussi généreuse soit-elle au départ.

Réflexion locale : inspirations andalouses et regards critiques

Que peut-on apprendre chez nous ? À Cordoue (et plus largement en Espagne), nombreux sont ceux qui militent pour une école publique inclusive financée par tous — parfois aidée ponctuellement par la philanthropie locale ou internationale (comme ici). Mais chacun sait que seule une implication citoyenne et politique forte permet de faire perdurer ce type d’action dans le temps.

Si vous visitez Cordoue hors saison touristique, allez donc observer le quotidien dans nos écoles publiques : diversité linguistique croissante grâce aux migrations récentes ; initiatives parentales pour soutenir les enfants précaires ; activités périscolaires pilotées par les associations locales… C’est humble mais solide car ancré dans notre tissu social.

L’aventure avortée de The Primary School nous pousse à interroger nos propres pratiques : comment garantir un accès égalitaire à l’éducation ? Comment éviter que la générosité ne soit qu’une parenthèse ?

Pour conclure – Ne confondons pas innovation sociale et effet d’annonce

À travers mes rencontres avec enseignants engagés en Andalousie ou membres de fondations culturelles cordouanes (voir Fundación Cajasur), j’ai compris ceci : il n’y a pas de miracle sans volonté collective persistante.
La vraie innovation éducative se construit patiemment avec toutes les parties prenantes — familles incluses.
Ne soyons pas dupes : quand on veut changer durablement le destin d’une ville ou d’une génération entière, rien ne remplace cet ancrage local qui donne sens au mot « communauté ».
Voyager – c’est aussi comprendre pourquoi certaines utopies restent fragiles lorsqu’elles ne prennent pas racine dans leur terreau social naturel. C’est sans doute là que réside notre plus grande source d’inspiration…

Le coin des questions

Pourquoi The Primary School ferme-t-elle ses portes ?

Après une baisse drastique des dons privés et faute de soutien public supplémentaire pour couvrir ses coûts élevés, l’école doit cesser son activité en 2024. Cela montre la fragilité du modèle basé sur quelques mécènes très impliqués au départ.

Ce modèle est-il transposable à Cordoue ou en France ?

Pas tel quel ! Ici comme là-bas, seule une alliance pérenne entre financement public majoritaire et implication associative garantit réellement l’accès équitable à l’éducation pour tous.

Peut-on encore espérer voir émerger des écoles innovantes ?

Oui bien sûr ! Mais elles doivent miser sur l’engagement collectif et trouver leur place dans le paysage éducatif existant plutôt que reposer uniquement sur des initiatives privées ponctuelles.

Photo by Angelina Litvin on Unsplash

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