Córdoba, patrimoine en débat : ce que l’affaire des peintures de Sijena révèle sur l’accès à l’art

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Et si le sort des fresques de Sijena au MNAC questionnait la manière dont nous, voyageurs, accédons réellement au patrimoine ? Plongée dans un débat brûlant.

Une histoire d’art et de justice : les fresques de Sijena sous les projecteurs

Ce matin-là, alors que je flânais dans les rues de Córdoba avec un café bien serré à la main, mon fil d’actualité vibrait au rythme du grand débat espagnol du moment : le transfert des célèbres peintures murales de la salle Capitulaire de Sijena. Exposées depuis des décennies au Musée National d’Art de Catalogne (MNAC) à Barcelone, elles devraient – sur décision judiciaire – retrouver leur monastère d’origine en Aragon. Mais au-delà du simple déplacement d’œuvres d’art, c’est toute une réflexion sur la place du patrimoine et son accessibilité qui s’impose à nous.

Entre décisions juridiques et enjeux patrimoniaux

À première vue, le litige peut sembler lointain depuis nos patios cordouans parfumés au jasmin. Pourtant, il résonne ici aussi : qui décide du sort des trésors artistiques ? Un groupe d’experts a été constitué pour veiller au transfert dans les meilleures conditions possibles, mais l’affaire ne se résume pas qu’à une question technique ou juridique.

L’Aragon souhaite respecter la sentence du Tribunal Suprême et voit là une reconnaissance légitime de son histoire régionale. La Generalitat catalane et le MNAC collaborent par devoir légal plus que par conviction profonde. En coulisses cependant, certains redoutent qu’un tel retour ne rende ces chefs-d’œuvre moins accessibles au public – un écho direct aux débats qui traversent aussi l’Andalousie quand il s’agit de partager ou préserver notre propre héritage.

L’accessibilité du patrimoine : une question universelle

Pour nous voyageurs curieux, la possibilité d’admirer une œuvre n’a rien d’anodin. C’est dans cette perspective qu’intervient le collectif Acció Cassandra. Leur argument central ? Le transfert risquerait de priver nombre d’amateurs d’art – locaux comme visiteurs étrangers – d’un accès « universel » à ces fresques majeures.

Cette mobilisation citoyenne a rassemblé plus de 250 soutiens en moins de deux semaines via une campagne de financement participatif ! Elle soulève une interrogation brûlante : l’intérêt général doit-il primer sur la restitution aux lieux historiques ? On touche ici à un équilibre délicat entre préservation locale et diffusion internationale… Un défi que nous connaissons bien à Córdoba où le rayonnement mondial de la Mezquita fait parfois oublier ses racines vivantes.

Faut-il privilégier la conservation ou le partage ?

Les partisans du retour rappellent combien le contexte original enrichit la compréhension des œuvres : voir les fresques là où elles furent créées apporte une dimension émotionnelle incomparable… Mais on ne saurait ignorer que certaines conditions (climat, sécurité, accessibilité) sont difficiles à garantir hors musée spécialisé.

J’ai eu l’occasion de visiter le Monastère de Sijena lors d’un précédent périple en Aragon : beauté sobre et mystique des lieux… mais infrastructure sommaire pour recevoir un large public international. Ici comme ailleurs – pensez au palais des Rois Chrétiens à Córdoba –, restaurer un monument n’est jamais neutre ni dénué d’enjeux contemporains.

Les dessous juridiques : entre intérêts privés et collectifs

L’affaire Sijena se distingue aussi par sa complexité juridique. Saviez-vous qu’une seule religieuse Sanjuaniste basée à Vitoria a rendu possible tout ce feuilleton ? C’est elle qui a cédé ses droits procéduraux à l’administration aragonaise ! Cette singularité interpelle jusqu’au Tribunal Suprême lui-même : comment un patrimoine si important dépend-il parfois du choix isolé d’une personne privée ?

Le collectif Acció Cassandra pousse désormais son recours jusqu’au Tribunal Constitutionnel puis – potentiellement – devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Derrière cette bataille se cache un enjeu fondamental : garantir que personne ne soit exclu du plaisir de contempler ces trésors universels.

Le regard cordouan(e) : pourquoi cela nous concerne tous !

En Andalousie aussi, nous avons connu nos querelles autour du patrimoine partagé – pensons aux tapisseries flamandes dispersées dans divers musées européens ou encore à nos manuscrits arabes exportés jadis loin de leurs terres originelles. Chaque déplacement raconte une histoire faite de fiertés régionales et d’ouverture nécessaire vers le monde.

À Córdoba plus qu’ailleurs peut-être, nous ressentons chaque jour cette tension féconde : préserver notre identité tout en invitant le voyageur à faire partie intégrante du récit local. Mon conseil ? Ne jamais réduire ces débats à des oppositions binaires ; ils sont toujours tissés d’humanité et méritent écoute attentive et nuance.

Quelles pistes pour demain ?

  • Imaginer des expositions itinérantes qui réconcilient ancrage historique ET diffusion large ;
  • Améliorer infrastructures locales pour rendre accessible tout site restauré ;
  • Multiplier médiations numériques (visites virtuelles immersives) sans renoncer au lien direct avec les œuvres ;
  • Encourager dialogues entre institutions régionales et internationales — comme cela se profile timidement avec ce groupe technique autour des fresques de Sijena.

"Le patrimoine appartient à ceux qui prennent le temps de s’en imprégner", m’a dit un vieux guide dans les jardins cachés derrière San Basilio. Peut-être est-ce là le vrai secret…

Questions fréquentes

Pourquoi tant de polémiques autour du transfert des fresques ?

Parce qu’il met face-à-face deux visions légitimes : celle qui défend leur retour dans leur lieu historique pour renforcer le lien culturel local, et celle qui préfère leur exposition dans un grand musée ouvert à tous afin d’assurer leur conservation optimale et un accès facilité au public mondial.

Peut-on visiter facilement le monastère où reviendraient les peintures ?

À ce jour (2025), les conditions restent limitées : horaires restreints, infrastructure sommaire pour accueillir nombre élevé de visiteurs étrangers ou scolaires… D’où l’inquiétude exprimée par nombre d’acteurs culturels quant à l’accessibilité future.

Ce cas est-il comparable avec celui des œuvres déplacées ailleurs en Espagne ou en Europe ?

Tout à fait ! On retrouve partout ce dilemme entre restitution locale et intérêt général : sculptures gréco-romaines rapatriées en Grèce ou manuscrits séfarades dispersés dans plusieurs bibliothèques européennes… Chaque cas relance la réflexion sur notre rapport vivant au patrimoine universel.

Photo by Free Nomad on Unsplash

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