Corée du Sud : rivalité, hagwons et coût caché de l’excellence scolaire

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Pourquoi la Corée du Sud mise-t-elle autant sur les hagwons ? Plongée dans un système où l’éducation façonne la société… et son avenir.

Le visage méconnu de l’éducation sud-coréenne

Je me souviens de mon premier voyage à Séoul. Une chose m’a immédiatement frappée : l’omniprésence des enseignes lumineuses annonçant des "hagwons" à chaque coin de rue. Ce sont bien plus que de simples centres d’apprentissage. Ils incarnent une obsession nationale pour l’excellence scolaire qui façonne chaque aspect de la société sud-coréenne.

Dans ce pays où la compétition commence dès le plus jeune âge, 84% des enfants fréquentent ces cours privés pour se perfectionner en anglais, mathématiques ou encore se préparer au fameux examen suneung — l’équivalent local du bac mais dont la pression est décuplée. Plus qu’un rite de passage, réussir ce test conditionne l’accès aux meilleures universités et donc à une vie professionnelle jugée réussie.

Mais ce modèle a un prix – humain et financier – que peu d’étrangers soupçonnent réellement.

Hagwon : entre rêve collectif et pression sociale

Les hagwons sont partout : en 2020 on en comptait plus de 73 000 à travers le pays, dont près de la moitié rien qu’à Séoul. Pour donner une idée, il y a là-bas trois fois plus de hagwons que de supérettes !

Ces établissements accueillent aussi bien les lycéens stressés que les enfants en maternelle venus apprendre l’anglais ou la natation… dès 4 ans ! Certains soirs, dans le quartier très huppé de Daechi-dong à Séoul, il n’est pas rare de voir des files de voitures devant les écoles jusque tard dans la nuit. Les parents attendent patiemment que leurs enfants terminent leur dernière leçon du jour — parfois à 22h !

Cette course effrénée au savoir n’est pas uniquement dictée par le désir parental ; elle est entretenue par une crainte collective : celle d’être « laissé pour compte » si on ne suit pas la cadence. Comme me confiait Yerim Kim, étudiante rencontrée lors d’une table ronde locale :

« Voir tout le monde aller aux hagwons me donne l’impression que je manque quelque chose si je n’y vais pas moi aussi. »

Un coût exorbitant… et invisible pour beaucoup

Ce système pèse lourdement sur les familles sud-coréennes. Selon les chiffres officiels relayés par The Korea Times, une famille moyenne dépense environ 869 dollars par mois rien que pour les cours particuliers d’un enfant adolescent — soit davantage que pour se nourrir ou se loger ! Les ménages aisés investissent massivement, mais même chez les familles modestes, ces dépenses dépassent souvent celles consacrées au logement ou à l’alimentation.

Le paradoxe saute aux yeux : alors même que la natalité s’effondre (0,72 enfant/femme selon les derniers rapports), la Corée reste le pays où élever un enfant coûte le plus cher — près de huit fois le PIB par habitant jusqu’à ses 18 ans ! Ce poids financier contribue sans doute au refus croissant d’avoir plusieurs enfants.

Compétition scolaire ou impasse démographique ?

On dit souvent que "l’éducation ouvre toutes les portes". Mais en Corée du Sud aujourd’hui, c’est aussi elle qui ferme lentement celle du berceau démographique national. Depuis presque deux décennies, l’État injecte des milliards dans des aides familiales et tente d’assouplir la vie des jeunes parents — sans grand succès jusqu’ici.

En réponse aux besoins des familles actives (les deux parents travaillant généralement), le gouvernement a récemment annoncé un élargissement des programmes après l’école publique jusqu’à 20h pour les primaires. C’est une façon de concurrencer partiellement les hagwons privés tout en offrant un répit aux parents épuisés par cette spirale éducative.

Malgré cela, le poids culturel attaché au succès scolaire reste écrasant : difficile pour une famille d’imaginer laisser son enfant « décrocher » alors que tous ses camarades accumulent des heures supplémentaires d’étude.

Pour approfondir ce sujet brûlant et comprendre son contexte mondial : La crise démographique sud-coréenne vue par Le Monde

Regards croisés : comment comparer avec la France ou l’Espagne ?

Ayant grandi à Cordoue puis étudié en France avant mes escapades asiatiques, j’ai été frappée par deux mondes qui semblent s’opposer : là où l’on valorise généralement davantage le temps libre ou la créativité ici (et même nos devoirs surveillés ont leurs limites), en Corée du Sud c’est la réussite académique qui prime presque systématiquement sur tout autre aspect.

Certes, nous connaissons aussi nos débats autour du soutien scolaire ou des cours particuliers. Mais jamais ils ne deviennent aussi structurants ni socialement incontournables qu’en Asie orientale. Le stress familial lié aux études y est ressenti comme une pression sociale diffuse — plus rarement comme une norme indiscutée.

À titre personnel, c’est cette atmosphère pesante mêlée à un formidable dynamisme qui m’a marquée lors de mes rencontres avec étudiants coréens : tous portaient en eux cet espoir immense… mais aussi cette fatigue profonde parfois palpable dans leur regard.

Pour ceux qui souhaitent explorer ces différences culturelles plus loin : Système éducatif sud-coréen vs français sur Vie-Publique.fr

L’autre versant : résilience et créativité émergente chez les jeunes Sud-Coréens

Tout n’est cependant pas sombre. La jeunesse coréenne développe également une formidable capacité d’adaptation et un sens aigu du collectif. Face à ces pressions inédites naissent aujourd’hui quantité d’initiatives visant à rééquilibrer vie privée et ambition scolaire : clubs créatifs hors cursus classique, start-ups sociales dédiées au bien-être étudiant…

J’ai ainsi assisté dans certains quartiers branchés comme Hongdae (Séoul) à l’émergence de nouveaux lieux hybrides mêlant espaces d’études partagés et ateliers artistiques collaboratifs — véritables laboratoires sociaux conçus par et pour les jeunes eux-mêmes afin de s’offrir quelques respirations essentielles.

Ce mouvement naissant pourrait-il préfigurer une mutation douce du modèle sud-coréen ? Difficile encore à dire… Mais il révèle déjà une jeunesse inventive qui refuse fatalisme et uniformisation malgré les défis colossaux imposés par le système actuel.

Questions fréquentes

Pourquoi tant d’importance accordée aux hagwons ?

Les hagwons sont vus comme indispensables car ils offrent un avantage compétitif essentiel dans un système ultra-concurrentiel où chaque point au suneung peut changer toute une vie professionnelle.

Les élèves coréens ont-ils du temps libre ?

Très peu comparativement aux standards européens : leurs journées sont longues et rythmées entre école publique puis sessions privées jusque tard le soir — surtout au lycée.

Le gouvernement coréen agit-il pour alléger cette pression ?

Oui : divers plans ont été lancés depuis 2006 (subventions directes aux familles, extension du temps périscolaire…), mais face au poids culturel massif accordé au diplôme universitaire prestigieux, les effets restent limités.

Peut-on envisager un changement dans ce modèle éducatif ?

Certaines initiatives citoyennes émergent actuellement mais aucun bouleversement structurel majeur n’a encore eu lieu ; beaucoup espèrent néanmoins voir évoluer progressivement ce rapport collectif à la réussite.

Photo by Santi Vedrí on Unsplash

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