Karla Sofía Gascón : Rôle ou réalité, l’angoisse ?

La actriz Karla Sofía Gascón posa en el photocall previo a la entrega de los Premios Platino, este domingo en IFEMA / Daniel Gonzalez / EFE

Vu à Madrid, Karla Sofía Gascón parle sans filtre. Entre angoisse des déportations et débat sur les rôles d'acteurs, ça remue ! Mon avis...

Les Premios Platino, c’est toujours un moment un peu suspendu ici en Espagne. Un pont entre l’Europe et l’Amérique Latine, un éclat de glamour qui, cette année encore, s’est tenu à Madrid. Mais au-delà des robes de soirée et des sourires, il y a des voix qui se font entendre, des voix qui portent les angoisses et les débats qui traversent notre époque. Parmi elles, celle de Karla Sofía Gascón, une actrice que j’apprécie pour sa sincérité désarmante. Et croyez-moi, ses mots à propos de Donald Trump et de la façon dont on distribue les rôles au cinéma m’ont interpellé, ici, depuis ma Cordoue tranquille.

Sa franchise sur la scène internationale du cinéma latino-américain et espagnol met en lumière des tensions sous-jacentes souvent tus. C’est un rappel que l’art n’existe pas en vase clos, qu’il est perméable aux réalités les plus dures du monde. Entendre une artiste exprimer une peur très concrète – celle de ne plus pouvoir travailler aux États-Unis de peur d’être déportée vers un pays avec lequel elle n’a pas de lien direct comme El Salvador – ça glace le sang. C’est une angoisse personnelle, oui, mais qui résonne avec celle de milliers d’individus impactés par des politiques migratoires agressives. Bayona, juste après, a tenté de rassurer, indiquant que, pour l’instant, « on peut aller et venir ». Une phrase pragmatique, mais qui souligne l’incertitude ambiante. Pendant ce temps, Arantxa Echevarría, la réalisatrice de « La Infiltrada », n’a pas mâché ses mots, qualifiant certaines figures politiques de « clowns » et appelant à une réflexion plus profonde avant de voter. Cette tribune offerte par les Premios Platino devient ainsi, presque malgré elle, un espace de débat politique, montrant à quel point le cinéma ibéro-américain est connecté aux réalités sociales et politiques des deux continents.

L’ombre de la politique : quand le cinéma tremble

L’inquiétude de Karla Sofía Gascón concernant les déportations aux États-Unis n’est pas qu’une simple déclaration en marge d’un tapis rouge ; elle symbolise une crainte bien réelle dans le monde de la culture, particulièrement pour les artistes dont la carrière a une dimension internationale. Penser qu’un voyage professionnel pourrait potentiellement mener à une expulsion vers un pays sans lien personnel fort est sidérant. Cette peur illustre comment les décisions politiques, prises loin des plateaux de tournage, peuvent directement impacter la vie et le travail des créateurs. En Espagne, où les liens avec l’Amérique Latine sont si forts, où tant d’artistes circulent entre les continents, cette situation américaine est observée avec une certaine appréhension. Elle rappelle les fragilités de la libre circulation et des échanges culturels face aux replis nationalistes. De mon point de vue ici à Cordoue, qui a toujours été un carrefour de cultures, cette fermeture potentielle des frontières, même lointaine, contredit l’esprit d’ouverture qui nous est cher. C’est un sujet qui, bien que centré sur les États-Unis, a un écho certain sur la façon dont nous envisageons les collaborations futures et les carrières transatlantiques dans l’industrie cinématographique et au-delà.

Cette incertitude politique ajoute une couche de complexité à un métier déjà précaire. Pour un acteur ou un réalisateur latino-américain, la possibilité de travailler sur de grosses productions américaines est souvent une étape clé dans une carrière. Si l’accès au territoire devient conditionné par des critères de plus en plus stricts ou arbitraires, c’est tout un pan d’opportunités qui se réduit. Cela force à repenser les stratégies de carrière, à se tourner peut-être davantage vers les marchés internes ou les collaborations intra-latino-américaines et européennes. C’est une pression supplémentaire qui pèse sur les épaules des artistes, déjà confrontés aux défis créatifs et économiques. Les mots de Karla Sofía Gascón sont un cri d’alarme qui nous rappelle que la politique est rarement totalement déconnectée de la vie des gens, même ceux qui brillent sous les projecteurs.

Le jeu d’acteur face au miroir identitaire

Mais Karla Sofía Gascón a également soulevé un autre point, tout aussi brûlant dans le monde du cinéma actuel : la « rage » qu’elle ressent face au fait que tout soit devenu « milimetrado » dans la distribution des rôles. L’idée qu’un acteur ne puisse jouer un personnage que s’il partage exactement la même identité – ne pas pouvoir jouer une Colombienne si l’on n’est pas Colombien, ou un assassin si l’on n’est pas un « vrai » assassin – est une critique directe des tendances actuelles de ce qu’on appelle parfois le « casting identitaire ». Pour elle, cela va à l’encontre de l’essence même de l’interprétation, qui est de se glisser dans la peau d’une autre vie, d’une autre personne, pour raconter une histoire.

Ce débat est loin d’être anodin. D’un côté, il y a la volonté louable d’assurer une meilleure représentation des minorités à l’écran et de donner la parole à ceux dont l’histoire n’a jamais été racontée par eux-mêmes. L’idée est que seul quelqu’un qui a vécu une expérience spécifique peut la porter à l’écran avec justesse et authenticité. C’est une quête de vérité et de légitimité. De l’autre côté, il y a l’argument que l’essence du métier d’acteur réside justement dans la transformation, dans la capacité à incarner des vies radicalement différentes de la sienne. C’est l’art de l’empathie poussé à son paroxysme, la possibilité d’explorer l’altérité. Restreindre les acteurs à leur propre identité reviendrait, selon cette perspective, à appauvrir le champ des possibles créatifs et à nier le pouvoir transformateur du jeu.

Une question de liberté artistique ?

Ces deux préoccupations, la peur des frontières qui se ferment et la rigidité croissante du casting identitaire, convergent vers une question fondamentale : celle de la liberté artistique. Si les acteurs ne peuvent plus voyager librement ou incarner des personnages diversifiés, qu’advient-il de leur capacité à créer et à raconter des histoires universelles ? La réponse de Bayona, suggérant qu’il est « normal de faire une représentation de la manière la plus correcte possible », est intéressante mais soulève de nouvelles interrogations : qui définit ce qui est « correct » ? Est-ce l’authenticité vécue ou la capacité d’incarnation ?

Il me semble que ce débat met en lumière une tension inhérente entre l’art comme reflet fidèle de la réalité sociale et l’art comme espace d’exploration et de dépassement de cette réalité. Les deux perspectives ont leur légitimité, mais trouver l’équilibre est complexe. Limiter les acteurs à leur stricte identité peut sembler, paradoxalement, enfermant. Le risque est de passer à côté de performances exceptionnelles simplement parce que l’acteur ne coche pas toutes les cases « identitaires » du personnage. Et cela, pour moi qui chéris la magie de la transformation sur scène ou à l’écran, est un peu triste. La richesse du cinéma espagnol et latino-américain a toujours résidé dans sa capacité à puiser dans une incroyable diversité d’histoires et de visages. J’espère que ces débats, aussi nécessaires soient-ils pour une meilleure représentation, ne finiront pas par brider la créativité et l’audace. La beauté des arts réside aussi dans leur capacité à nous faire voir le monde à travers des yeux qui ne sont pas les nôtres, même si ces yeux appartiennent à un acteur dont la vie est très différente de celle du personnage qu’il incarne. C’est une forme d’empathie essentielle dans notre monde. Cette capacité à incarner l’autre est, à mon sens, au cœur du métier, tout comme la capacité des patios fleuris de Cordoue à raconter l’histoire de ceux qui les ont façonnés, même s’ils ne sont plus là.

Au-delà des tapis rouges : l’écho à Cordoue ?

Alors, comment ces débats qui agitent les grandes scènes du cinéma mondial résonnent-ils ici, dans notre chère Cordoue ? Peut-être moins directement dans les conversations quotidiennes au marché de la Victoria, mais ils sont bien présents dans l’esprit des artistes locaux, des étudiants en cinéma, des passionnés de culture. Cordoue, avec son histoire complexe et ses influences multiples – romaine, arabe, juive, chrétienne – connaît bien la question de l’identité et de sa représentation. Comment raconte-t-on l’histoire d’une ville aussi stratifiée sans tomber dans les clichés ou les simplifications excessives ? Comment un artiste cordouan incarne-t-il la richesse de cet héritage sans se sentir enfermé par lui ?

Le débat sur le casting identitaire, vu d’ici, prend peut-être une autre dimension. Est-ce qu’un acteur non andalou peut incarner l’âme profonde d’un personnage d’ici ? Bien sûr que oui, si le talent et le travail sont là. L’art a cette capacité de transcender les origines, à condition qu’il y ait un respect profond pour la culture et l’histoire représentées. C’est une question de sensibilité et de recherche, pas seulement de carte d’identité. Ces discussions globales nous poussent, nous aussi, à réfléchir à la manière dont notre propre identité culturelle, si forte en Andalousie, est ou devrait être représentée à l’écran ou sur scène. C’est un débat qui mérite d’être mené avec nuance, sans diktats simplistes, en reconnaissant à la fois la nécessité de l’inclusion et le pouvoir unique de la transformation artistique. Pour aller plus loin sur ces questions de représentation culturelle dans le cinéma espagnol, je vous invite à consulter des analyses plus poussées sur des sites spécialisés comme Allociné ou Le Film Français.

Media: Diario Córdoba – La actriz Karla Sofía Gascón posa en el photocall previo a la entrega de los Premios Platino, este domingo en IFEMA / Daniel Gonzalez / EFE

A lire aussi