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Salomé, les désirs, le pouvoir et l’émancipation

par María Fernanda González

##La magie de Magüi Mira, une inspiration à travers les mots

La directrice de théâtre Magüi Mira est-elle inspirée par le livre incontournable "Contar es escuchar" d’Ursula K. Le Guin? On peut reconnaître dans son processus créatif certaines des clés données par la célèbre auteure de science-fiction, notamment l’importance des mots pour donner vie à une histoire. Comme le dit Le Guin, "l’incarnation est la clé". Trouver une connexion intérieure avec les personnages, les posséder, c’est la clé pour que les projets de création deviennent de véritables histoires. Je pense que c’est quelque chose que fait, peut-être inconsciemment, Magüi Mira dans ses mises en scène comme "Consentiment" ou "Kathie et le hippopotame", lorsqu’elle relève le défi de porter sur scène des récits qui, quelle que soit l’époque dans laquelle ils se déroulent, parlent de nous-mêmes, d’ici et maintenant. Je dirais même qu’il y a une ligne cohérente dans une grande partie de son travail en tant que metteuse en scène, une ligne qui, depuis des années, explore les corps, les désirs et le pouvoir (ou leur absence) des femmes. Sa vision des "Amazones" ou de "Pénélope" en est la preuve, montrant que pour elle, comme pour Ursula K. Le Guin, les mots sont une forme d’identité, de féminité.

C’est dans cet écheveau que dénoue Magüi Mira sur scène que se trouve également "Salomé", qui a été présentée samedi soir au Gran Teatro, après son succès à Mérida cet été et le défi d’adapter dans des espaces plus petits ce qui était un spectacle total pendant la saison estivale. Avec un choix audacieux, comme c’est souvent le cas avec elle, l’actrice et directrice revisite l’histoire d’une femme qui, comme tant d’autres, n’avait initialement pas de nom et que nous connaissons tous comme un exemple de cette "femme fatale" stéréotypée, résultat du regard dominant des hommes sur les femmes. Dans cette mise en scène, cependant, nous découvrons une révolte d’un être sans nom qui cherche désespérément à s’émanciper, à briser ses chaînes, à se libérer des normes dictées par les hommes pour elle. C’est pourquoi sa fusion avec Jean le Baptiste n’est pas seulement sexuelle, bien sûr, mais à travers leurs regards partagés, c’est l’appel à un nouveau temps. La révolution des opprimés, la revendication des opprimées, l’utopie d’une terre sans hommes violents sur leurs trônes. Bien que Salomé n’ait que le pouvoir de son corps entre ses mains, quelque chose que l’on peut appeler le capital érotique en termes contemporains, et qu’elle utilise comme une arme, non pas pour se faire asservir. On peut donc voir dans cette pièce, comme dans toutes celles que Mira dirige, une lecture politique qui fait écho à beaucoup de choses sur lesquelles nous continuons toujours de débattre. La domination masculine sur le corps des femmes, la fragilité du consentement pour séparer le sexe de la violence, l’impossibilité de réduire à une norme la zone trouble et indécise où résident nos désirs. Et bien sûr, ceux des femmes, toujours en lutte pour se libérer du corset qui les condamne à être des êtres vertueux, comme si pour elles il n’y avait pas de précipice du plaisir et du danger. De ce point de vue, le personnage d’Hérodias, interprété par une Luisa Martín qui nous montre qu’elle possède bien plus de talent que ce que nous pouvons deviner à travers ses personnages à la télévision, est en elle-même une revendication de l’autonomie sexuelle et des désirs des femmes, y compris le droit de se tromper et surtout, le droit à l’autodétermination. Il n’est donc pas surprenant que les rires d’Hérodias dans la bouche de Martín soient une provocation, de celles qui font une fissure dans le mur de la maison.

Comme dans toutes les productions de Mira, la mise en scène, dans laquelle l’esthétique a toujours une dimension éthique, relève beaucoup de la chorégraphie, de la danse qui nous interpelle, des corps des acteurs et des actrices qui nous chuchotent à l’oreille. C’est le cas des hommes de la garde royale, tour à tour ridicules machos ou danseurs féminins, tout comme le squelette de Belén Rueda, qui nous montre sa capacité à séduire et à émouvoir et qui atteint son apogée lorsqu’elle se laisse aller à l’agitation et que nous la voyons devenir une héroïne qui résiste à être une victime. L’éclairage soigné et surtout les magnifiques costumes conçus par Helena Sanchís, qui en disent long sur les personnages qui les portent, font que "Salomé", même dans les environnements les plus intimes d’un théâtre, continue d’être un spectacle éblouissant. Seules les chansons chantées par Pablo Puyol, qui incarne un Jean collé à la terre qui se rebelle, peuvent quelque peu jurer.

En tout cas, pour celui qui écrit ces lignes, le meilleur de cette production de "Salomé" est ce miracle que Magüi Mira tire de son chapeau et qui représente, parmi tant d’autres choses, l’espoir d’un nouveau temps, la lumière de l’utopie, l’horizon d’un monde où nous nous serons finalement affranchi de ceux qui nous piétinent avec leurs bottes omnipotentes. Ces descendants d’Hérode qui, encore aujourd’hui, s’efforcent de prouver que toutes les vies ne valent pas la peine d’être pleurées. Sirius, qui incarne avec le corps d’un dieu et la douceur d’un ange Sergio Mur, n’est pas seulement la voix qui nous guide, la conscience de ceux qui n’ont pas de voix ou le miroir dans lequel se reflètent les blessures de Salomé. Sirius est cet être androgyne, sans genre, qui pourrait aussi bien vivre dans les cieux que sauter de toute boîte pour allumer, telle une luciole, les chambres obscures où nous errons souvent. Ses jupons transparents représentent la toile sur laquelle nous pouvons imaginer des corps qui s’aiment librement et des désirs qui se reconnaissent et se respectent. La grande révolution à venir. Celle qui devrait nous mener vers un temps nouveau. Pour les femmes et pour les hommes. Elles enfin avec un nom et nous, espérons-le, sans Hérode que nous voulons imiter et sans une garde royale dans laquelle nous sommes comme un frère.

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