Le Voyeur de Powell : chef-d’œuvre classé X ou miroir dérangeant du cinéma ?

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Découvre pourquoi Le Voyeur, ce film classé X, fascine encore 65 ans plus tard et comment il a détruit la carrière de Michael Powell… Intrigué ?

Une œuvre brûlante qui dévora son créateur

Il y a des films qui marquent au fer rouge l’histoire du cinéma. "Le Voyeur" de Michael Powell est de ceux-là : un film dont l’impact fut aussi fulgurant que destructeur, à tel point qu’on pourrait croire à une malédiction posée sur son auteur. Lorsque j’ai vu pour la première fois cette perle sulfureuse—je me souviens encore du malaise, presque physique, éprouvé devant la froideur clinique de la caméra et la tendresse presque naïve du personnage principal. Impossible de rester indemne.

Mais pourquoi ce film, sorti il y a maintenant plus de six décennies, suscite-t-il toujours autant d’émoi ? Pour comprendre cela, il faut revenir à l’époque de sa sortie—et surtout à l’homme derrière la caméra : Michael Powell. Esthète intransigeant et éternel iconoclaste du cinéma britannique, Powell n’a jamais cherché le consensus ; bien au contraire, il traquait l’inconfort comme une fin en soi.

L’origine d’un scandale : audace formelle et fascination pour le regard

En 1960, Michael Powell n’est pas un inconnu. Sa collaboration avec Emeric Pressburger lui avait déjà offert une place dorée dans le panthéon cinématographique (pensez à "Le Narcisse noir", "Les Chaussons rouges"). Pourtant, c’est seul qu’il se lance dans « Le Voyeur », inspiré par les travaux du cryptographe Leo Marks. Il va y pousser à l’extrême ses obsessions visuelles et thématiques : ici, filmer devient un acte aussi érotique que criminel. Le personnage central, Mark Lewis—interprété par Karl Heinz Böhm (loin des bluettes autrichiennes !)—filme ses victimes au moment même où il les tue. L’idée fait froid dans le dos.

Ce dispositif méta-cinématographique met le spectateur dans une position inconfortable : nous voilà complices involontaires du meurtre par notre simple regard. Cette réflexion glaçante sur le pouvoir—et le danger—de la caméra trouve aujourd’hui un écho saisissant à l’heure des réseaux sociaux et de la vidéosurveillance omniprésente.

« Je crois qu’il n’y a rien de plus effrayant qu’une caméra » — Michael Powell (1968)

La censure comme sentence : quand le Royaume-Uni brise ses artistes

Peu de films ont connu une réception critique aussi féroce que "Le Voyeur". Le BBFC (censeur britannique) s’est acharné contre lui : coupes imposées, scènes édulcorées… puis ce fameux classement X qui condamne d’avance tout espoir commercial. Lors des projections presse anglaises, certains critiques comparèrent Powell au Marquis de Sade ; d’autres évoquèrent carrément « un voyage dans les égouts » !

Ce lynchage médiatique tient à mon avis autant à la modernité dérangeante du propos qu’à sa dimension introspective. Comment peut-on ressentir de l’empathie pour un meurtrier ? C’était intolérable pour beaucoup en 1960… alors même que Hitchcock allait bientôt triompher avec "Psychose", sans souffrir d’un bannissement similaire.

La différence ? Hitchcock savait envelopper ses provocations d’ironie ; Powell assumait frontalement l’ambiguïté morale et refusait toute échappatoire confortable.

Modernité éclatante : Le Voyeur vu d’aujourd’hui

Ce qui me frappe toujours en revoyant "Le Voyeur" aujourd’hui (notamment après sa somptueuse restauration en 2023), c’est à quel point il annonce notre rapport contemporain aux images et à leur pouvoir anxiogène. Mark Lewis est certes un tueur fictif, mais combien d’entre nous scrutons désormais nos vies (et celles des autres) via écrans interposés ?

En cela, Michael Powell reste visionnaire : il interroge avant tout notre propre rapport au voyeurisme quotidien – devenu banal avec Instagram ou TikTok. Martin Scorsese lui-même souligne combien ce film pose les bases d’une réflexion quasi psychanalytique sur le cinéma comme pulsion.

Pour approfondir cette réflexion sur la surveillance et l’image aujourd’hui

L’héritage paradoxal : destruction ou renaissance ?

On ne mesure pas assez combien ce film a coûté humainement à Powell. Sa carrière anglaise anéantie quasiment du jour au lendemain—contrairement à Hitchcock ou De Palma qui tirèrent gloire de leurs provocations similaires.

Mais voilà l’ironie tragique : c’est grâce au soutien passionné d’un jeune Martin Scorsese que "Le Voyeur" connaîtra enfin sa réhabilitation publique… près de vingt ans plus tard ! Ce geste témoigne non seulement d’une admiration filiale mais aussi d’une solidarité entre artistes incompris par leur époque.

Aujourd’hui reconnu comme chef-d’œuvre absolu par la critique internationale (sacré meilleur film anglais du siècle en 2024 !), "Le Voyeur" est étudié dans les universités et célébré lors des festivals majeurs – signe que la marge finit parfois par devenir centre.

Quelques conseils pour explorer ce film autrement…

  • Visionnez-le sur grand écran si possible : son travail chromatique mérite vraiment une projection digne de ce nom !
  • Lisez l’autobiographie de Powell où il retranscrit sans filtre les critiques assassines reçues à sa sortie – c’est bouleversant et très instructif sur le climat culturel anglais post-guerre.
  • Comparez avec "Psychose" ou "Blow-Up" pour mieux saisir comment chaque réalisateur aborde différemment le trouble du regard.
  • Réfléchissez aux parallèles contemporains entre Mark Lewis et nos propres usages numériques – vertigineux !
  • Découvrez ici une analyse approfondie sur les films classés X dans l’histoire britannique.

« Capturer l’image de quelqu’un est un acte très fort. Nous avons tendance à l’oublier » — Martin Scorsese (1979)

Questions fréquentes

Pourquoi "Le Voyeur" a-t-il été classé X lors de sa sortie ?

Parce qu’il abordait frontalement des thèmes jugés tabous (voyeurisme sexuel, violence psychologique), sans jamais offrir le moindre soulagement moral ou ironique aux spectateurs britanniques très conservateurs de l’époque.

Quelle influence ce film a-t-il eue sur le cinéma moderne ?

Gigantesque ! Il a anticipé toute une génération d’œuvres questionnant notre rapport aux images—des thrillers psychologiques aux réflexions actuelles sur la surveillance numérique.

Peut-on voir aujourd’hui "Le Voyeur" facilement en France ?

Oui ! Depuis sa restauration récente (2023), il est disponible en Blu-ray/DVD/VOD chez StudioCanal et régulièrement projeté dans certains cinémas art-et-essai lors de rétrospectives thématiques.

Photo by Caroline Attwood on Unsplash

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