##Javier Ruibal: Un hommage aux libertés
Javier Ruibal (El Puerto de Santa María, 1955) a découvert au milieu des années 70 une Barcelone qui était le fleuve et l’embouchure des libertés et des inquiétudes artistiques. Dans la capitale catalane, il a vécu avant de retourner dans la province de Cadix, également un lieu propice à ce mot – liberté – si large et important. Dans son dernier travail intitulé Saturno Cabaret, le musicien et auteur gaditano a recréé l’un de ces espaces qui permettaient de contourner l’autoritarisme de l’Espagne de la dictature. Dans ce nouvel album, à travers les chansons, il évoque différents archétypes sociaux de l’époque – le syndicaliste, le commissaire, les américains… – et rend hommage à ceux qui ont souffert, d’une manière ou d’une autre, de la marginalisation, de l’exclusion. La première aura lieu le 17 janvier prochain à Madrid, avec la participation de Miguel Ríos, Joan Manuel Serrat et Miguel Poveda. – Saturno Cabaret est-il un hommage aux libertés ? C’est un hommage à la défense des libertés. Je parle ici d’une époque où il fallait défendre une liberté qui aujourd’hui est institutionnalisée. La défendre parfois au risque de sa propre vie. – Certains affirment que nous vivons une époque où ces libertés si durement gagnées sont en recul. Nous ne sommes pas en train de régresser en termes de liberté, c’est juste que les gens qui n’ont jamais eu besoin de liberté, parce qu’ils ne savent pas quoi en faire et préfèrent l’autoritarisme, essaient maintenant de renverser le régime de libertés pour revenir à un état de soumission qui ne peut être décrit que pour ce qu’il est, un fascisme. Le pire, c’est que ce sont les jeunes qui le réclament. – Qu’est-ce que la liberté pour Javier Ruibal ? Nous sommes tellement habitués à l’avoir que j’ai oublié comment la définir. Mais je dirais que c’est un état d’esprit qui préside tous les actes de votre vie. Pour s’exprimer, pour se réunir, pour élever ses enfants. Elle englobe tout. Et tout le temps, vous devez essayer de l’exercer. Pour votre bien et celui de votre entourage. "J’ai toujours été partisan de briser les moules, d’allier Rome et Saint-Jacques. Voyons ce qui en ressort. Le mélange et la transgression sont toujours très stimulants." – Dans cet album, différentes personnalités de l’Espagne des années 50 sont évoquées. Je vois une caractéristique commune à toutes. Je voulais faire un portrait de l’époque. Et aussi un portrait d’un environnement festif. De toutes ces personnes qui cherchaient à s’amuser, même temporairement. Tous ces personnages étaient poursuivis par une situation de vulnérabilité. Par exemple, Paquito, qui s’occupe des vedettes. Il est homosexuel. Avec tout ce que cela impliquait à cette époque. Une chose poursuivie, dévoyée… Tous les personnages de ce cabaret sont rejetés par quelque chose. La vie leur a donné un coup. Moral, psychologique ou physique. Mais malgré cela, chacun vient dans cet endroit pour rêver. Ils se permettent, malgré tout, de rêver. – C’est une vision mélancolique, mais pleine d’espoir. C’est que ces temps-là étaient mélancoliques. Ce qui manque dans ce portrait, ce sont les regrets. – Pourquoi ? Parce qu’on ne peut pas regretter une époque aussi dure. Je ne l’ai pas vécue, mais mes parents oui. J’ai pris les mesures pour faire ce portrait de ce cabaret dans les circonstances du mariage de Pepe et María, qui sont mes parents. Avec les difficultés économiques de l’époque. Je me souviens d’une machine à coudre qui résonne constamment dans ma mémoire. C’est celle de ma mère quand elle raccommodait nos vêtements. Des vêtements hérités de mes frères et sœurs. Enfin, cette époque était misérable et triste. Ajoutez à cela l’interdiction de parler… J’ai voulu faire avec Saturno Cabaret une réclamation de la dignité, de la très haute dignité, avec laquelle ces gens, cette génération, ont gardé le cap et ont mené leur vie malgré l’opprobre et l’infamie. – Un commissaire se rend également au cabaret. Les opprimés et les oppresseurs fréquentaient le cabaret. Parce que même les oppresseurs admettaient que ce qui se passait était excessif. Et ils y allaient pour écouter une blague osée, voir une cuisse ou un porte-jarretelles. Fantasmer. Se libérer de leur vie en rêvant. – De la rumba au tango, du rock au cuplé. Une variété de styles et de musiques dans cet album. Est-ce parce que nous devons abandonner les tranchées et rapprocher les opposés en ces temps ? Ce sont les musiques de l’époque que je décris. Je les utilise pour chaque personnage, je leur en attribue une. Mais oui : j’ai toujours été partisan de briser les moules, d’allier Rome et Saint-Jacques. Voyons ce qui en ressort. Le mélange et la transgression sont toujours très stimulants. C’est pourquoi j’aime les albums conceptuels. Les albums autour d’une idée. Il y a des exemples chez Serrat, les Beatles, Pink Floyd. Cette idée de faire des choses singulières est ce qui m’a conduit à cet album. – Vous réservez-vous le droit d’admission à quelqu’un dans ce cabaret ? Non. Enfin, le droit d’admission est réservé à ceux qui viennent briser la magie de cette soirée ou se venger du sort de Paquito. Mais si vous venez pour vous laisser emporter par ce qui est raconté et pour contempler les personnages, pour vous amuser et ressentir… vous êtes au bon endroit. – Dans ce Saturno, dans ce souvenir galactique, qui pensez-vous, pour le meilleur, venir d’une autre galaxie ? Eh bien, regardez, d’une autre galaxie, il y a Albert Pla. Aussi Tom Waits. De l’autre planète, je pense maintenant à Los Javis, les réalisateurs et scénaristes de cinéma. Je suis toujours ouvert à attendre plus de choses qui me surprennent. Je pense qu’une des merveilles de la création est qu’à chaque époque, quelqu’un vient mettre la cerise sur le gâteau, qui va plus loin. Aller plus loin est un exercice très grand et splendide de liberté.
